Archives de catégorie : Chroniques

Blood Red Shoes – In Time to Voices

Album numéro trois pour le duo Laura-Mary Carter et Steven Ansell, autre preuve qu’il faut impérativement avoir une couleur dans son nom si on veut faire du rock ‘n roll en duo. Carter et Ansell, qui viennent de Brighton, ont fait parler d’eux ces dernières années en alliant le minimalisme relatif des groupes basse/batterie à une puissance qui lorgnait vers l’altrock US, Sonic Youth, Nirvana, Fugazi, tout ça. Point de post-Britpop pour ces deux-là, dont les performances scéniques enflammées étaient assez bien retranscrites sur disque. In Time to Voices, sans renier complètement le passé, explose totalement le canevas dans lequel s’était peut-être enfermé Blood Red Shoes. C’est certainement leur album le moins excité, mais c’est aussi le plus riche, le plus varié, le plus complet.

Le morceau-titre qui entame l’album en est un parfait exemple. Aucune volonté manifeste d’engluer l’auditeur sous les décibels, malgré une notable influence shoegaze, mais plutôt une attention poussée vers l’écriture et le souci du détail : une batterie moins rentre-dedans, une voix plus douce (mais qui peut devenir sérieusement acide) et nettement plus assurée pour Laura-Mary. Lost Kids est quant à lui réminiscent d’une scène indé plutôt anglaise, Idlewild, Reuben, toutes ces bonnes choses maintenant éteintes.

Comme toujours chez Blood Red Shoes, les voix se partagent entre les deux membres, même s’il me semble (purement une impression, je précise) qu’Ansell est plus présent que Carter. Le single Cold les voit se partager le micro pour un morceau qui lui, me fait penser à une autre balise du rock indé, Melissa Auf der Maur. Trois morceaux, rien à jeter, et une entame d’album impressionnante non par son pur volume, mais par, simplement, son excellence.

BRS ne s’arrête pas là, et continue à prendre tout le monde à contre-pied : Two Dead Minutes est froid et fait penser aux Raveonettes, The Silence and the Drones est lancinant, mantrique et comprend même un final avec violons. L’album devient petit à petit plus lent, plus atmosphérique et dense et va même comprendre une ballade fantastique, Night Light, au refrain à tomber. Mais le contre-pied continue, et Je Me Perds les voit endosser le rôle d’un groupe de reprises d’Atari Teenage Riot (pas une mauvaise chose, je précise) avec Carter en parfaite Nic Endo.

Les influences sont reconnaissables, mais inspirées : leur talent de composition éclipse directement quelques réminiscences que l’on pourrait avoir (vous vous rappelez de Cooper Temple Clause?), et fait d’In Time to Voices leur meilleur album, mais aussi le moins évident, et le plus difficile. Ils ont mis la barre tellement haut que les quelques petits défauts ressortent d’autant plus, la différence entre un excellent album et un chef d’oeuvre, sans doute. Mais on a le temps, il arrivera prochainement, leur chef d’oeuvre.

Lana Del Rey – Born To Die


J’ai attendu. La montée du buzz, la sortie de l’album, la descente en flammes. Histoire de ne pas la faire King of Limbs, avec une impression immédiate de l’album forcément influencée par tout ce qui entoure la paire de lèvres la plus célèbre depuis Steven Tyler. Donc j’ai attendu jusque maintenant (oui, ça marche aussi pour excuser mon faible rythme de publication), parce que là, Lana, on n’en parle plus. On verra bien vite si le buzz est définitivement terminé, et on va s’attarder sur la seule chose qui est censée compter : sa musique.

On passera bien vite la vie antérieure de Del Rey en tant que Lizzy Grant ainsi que toute accusation de création diabolique de l’industrie du disque : on s’en fiche. Ce qui intéresse, c’est la qualité des morceaux, notamment savoir si Lana est capable de rééditer son premier single très marquant, Video Games/Blue Jeans. Guess what? Non. Mais alors, vraiment pas. Autant le dire tout de suite, sans trop de risque d’erreur, rien d’autre sur l’album ne dépasse ces deux morceaux, mélancoliques et mélodiques à souhait.

Le début de l’album est là pour en témoigner : Born to Die était censé être son premier hit vraiment produit, avec des cordes expansives et un clip, cette fois, pas cheap. Le morceau n’est pas spécialement mauvais, mais a totalement perdu le charme de son premier disque. Que dire alors de Off to the Races, où Lana tente de chanter avec plusieurs voix différentes, y compris une sorte de semi-rap auquel elle ne croit pas elle même. La chanson est excessivement irritante, les backing vocals du genre « on a enregistré à côté d’une radio qu’on a oublié d’éteindre » lassent très vite, et à ce moment-là, on se dit qu’à peine allumé, le néon cheap de l’étoile de Lana s’est déjà éteinte, probablement à cause d’une facture d’électricité impayée. Blue Jeans et Video Games suivent et relèvent évidemment le niveau, leur caractère amateur contrastant avec la production cliniquement froide des autres morceaux. Mais Video Games restera, qu’on le veuille ou non, un des morceaux emblématiques de cette décennie (mais bon, Friday aussi, je suppose).

Le reste de l’album se passe assez mal, surtout qu’il est trop long : 15 morceaux (dans sa version deluxe) aux rythmes quasi identiques et au relief inexistant, ça lasse très vite. On retiendra quand même ceux qui, finalement, ressemblent le plus à Video Games : des ballades sombres et mélancoliques, à l’atmosphère parfois lourde (Carmen) et aux mélodies passables (Dark Paradise). Mais pour deux ou cinq morceaux écoutables (Radio, bien qu’assez détestable, devrait être le prochain single), on a des trucs vaguement hip-hop lourds (Diet Mtn Dew), des choix de paroles douteux (National Anthem ou l’épouvantable Lolita) et une série de chansons quasi impossibles à distinguer les uns des autres (tout le reste).

Lana Del Rey ne méritait pas toutes les critiques qui se sont abattues sur elle suite à sa contre-performance de Saturday Night Live. Mais l’album, contrairement à son premier single, ne vaut malheureusement pas grand chose, et sonne probablement le glas de sa très courte carrière.


Sleigh Bells – Reign of Terror

Ah, le futur du rock n’ roll… Sleigh Bells a fait fort avec son premier album, Treats, un étrange mix entre hardcore et mélodies pop, le tout enveloppé dans une production extrême, qui donnait ses lettres de noblesse à la saturation style Loudness Wars. Malgré une certaine répétition, l’effet de surprise de l’album fonctionnait en sa faveur, et même si on était partagé sur les qualités intrinsèques du groupe, au moins, c’était différent. Ce qui est exactement le problème du second album, Reign of Terror.

Le guitariste, producteur et « cerveau » du duo, Derek Miller, a insisté sur la difficulté de création de l’album, notamment en évoquant des drames personnels, comme la perte de son père, ce qui lui fit dire que le titre de l’album devait être pris littéralement. Et il est vrai que thématiquement, l’album n’est pas très drôle. Seulement, tout ce que Miller et son associée, la chanteuse Alexis Krauss, veulent dire ou exprimer est enfoui dans la production étouffante de Reign of Terror, ou chaque millimètre de l’espace stéréophonique est capturé par une envie, un besoin de faire du bruit. Ce qui est, je le concède, un moyen d’expression, mais sans doute pas le plus efficace, surtout quand la même technique a déjà été utilisée deux ans auparavant.

Vous l’aurez compris, Reign of Terror, c’est Treats en plus fort, plus bruyant, plus extrême et plus saturé. Pour évacuer la pression, le premier morceau de l’album joue sur l’autodérision, avec Alexis Krauss jouant du « are you ready motherfuckers » comme si elle était Axl Rose arrivant sur scène deux heures en retard après avoir bouffé trois seaux du KFC. Bien qu’amusant quelques secondes, on finit par se demander si le morceau (Shred Guitars) est vraiment ironique. Les meilleurs morceaux de l’album (Born to Lose, End of the Line, Comeback Kid) allient la production pan dans ta gueule et la grosse guitare de Miller au chant de plus en plus RnB de Krauss, qui veut probablement devenir la Beyoncé de Pitchfork.

Parfois, cela fonctionne, mais la formule est tellement limitée qu’on se lasse très vite, et la seconde partie de l’album se passe péniblement, sans relief, en se demandant combien de fois il est possible de placer des claquements artificiels de mains et de doigts dans un album. Reign of Terror est probablement un « meilleur » album que Treats, mais comme (What’s The Story) Morning Glory l’était par rapport à Definitely Maybe. Les morceaux sont plus aboutis, le groupe joue mieux (enfin, tout est relatif), mais on s’ennuie nettement plus. Ce relatif échec stylistique peut être considéré comme une sorte de désaveu des techniques de (sur)production actuelles, qui peuvent faire beaucoup mais qui ne remplaceront jamais ce qui fait un bon album : des bonnes chansons.

Cloud Nothings – Attack on Memory

Dans dix mois, on compilera les meilleurs albums de 2012, les surprises, les déceptions. Si Attack on Memory n’est pas dans le top 10, alors 2012 aura été une année exceptionnelle. L’album précédent de Dylan Baldi, Cloud Nothings, était déjà dans pas mal de listes l’an dernier, mais cette fois, il a atteint un tout autre niveau. Cloud Nothings était frais, lo-fi, pop, charmant et efficace. Mais Baldi avait d’autres ambitions, qui dépassaient largement le cadre trop structuré de la pop song dite facile. Alors, il s’est entouré de trois musiciens (il jouait de tout sur ses anciens morceaux), a engagé Steve Albini pour enregistrer un son viscéral, brut et forcément sans artifice, et voici le résultat.

Baldi semble tellement obsédé par montrer son évolution que l’album commence par deux morceaux qui n’ont rien à voir avec ses précédentes productions. No Future/No Past est une ouverture absolument parfaite, rappelant la morosité lancinante de certains morceaux de Nirvana en se terminant par une explosion sonore rappelant… d’autres morceaux de Nirvana. Il reprendra d’ailleurs le nihilisme qui caractérisait cet autre génie lofi un peu plus loin, sur No Sentiment (« No nostalgia / No sentiment »). Mais Baldi est loin d’être un plagiaire, il ne fait que revendiquer ses infuences. Wasted Days semble plus direct, mais après environ trois minutes, un long pont instrumental rappelle à l’auditeur que Cloud Nothings veut maintenant être un vrai groupe qui fait des chansons taillées pour la scène et plus pour la chambre à coucher de Baldi. Baldi qui termine en gueulant « I thought / I Would / Be more / Than this » avec une conviction poignante qui montre qu’il croit en ce qu’il fait, que son coeur est clairement au bon endroit. Wasted Days est leur Whirring, en mieux encore : que de chemin parcouru depuis Hey Cool Kid.

Après cette démonstration de force, on pourrait presque en rester là. Et Cloud Nothings (on va arrêter de ne parler que de Baldi, Cloud Nothings est un groupe, maintenant) tient à ne pas en faire trop, ce qui est une preuve de sagesse : Attack on Memory ne dure que 8 morceaux et 33 minutes, malgré le fait que Wasted Days prend le quart de la durée à lui seul. Fall In permet à l’auditeur de (re)trouver ses repères, avec une production plus lofi (enfin, c’est Albini, ce n’est pas non plus très glossy), on pourrait presque se retrouver sur l’album précédent. Mais même si Baldi a prouvé qu’il était un multi-instrumentiste talentueux, avoir un vrai groupe derrière lui permet de s’exprimer comme il le souhaite, dans ce cas en version pop, mais un peu plus loin en version Strokes : Stay Useless reprend une partie de Hard to Explain mais le transforme en quelque chose de nettement plus puissant et sauvage.

L’album ne souffre d’aucun temps mort, d’aucune faiblesse. Sa face B reprend les mêmes ingrédients : un peu de mélodie, pas mal de puissance et de nervosité, et beaucoup de talent. Baldi réussit quelque chose de rare : montrer qu’il peut faire pas mal de choses (ce qui n’était pas certain au départ) sans se dissiper, qu’il peut écrire de vraies chansons tout en gardant l’énergie qui caractérisait ses premières productions, même si on peut éventuellement regretter le charme bricolé du passé. Mais l’aspect le plus impressionnant d’Attack on Memory, c’est que même s’il s’agit sans nul doute d’un des albums de 2012, on sait, on sent qu’il peut faire encore mieux, encore plus fort. Nous assistons actuellement à la montée en puissance de quelqu’un qui sera peut-être un des musiciens/compositeurs les plus talentueux de la décennie. Et pour un genre musical qui est mort une bonne centaine de fois ces dix dernières années, c’est extrêmement excitant et prometteur. No Future/No Past? No Way.

Mon année 2011, dernière partie + playlist Spotify

Voilà, 2011, c’est (presque) terminé. Encore deux petites choses avant de clôturer cette année, la huitième de Music Box. D’abord, je n’ai absolument pas pu/voulu classer mon top 5 de l’année, qui apparaît donc ici par ordre alphabétique. Pourquoi? D’abord parce que, comme déjà écrit auparavant, je n’aime pas la compétition, les classements et les listes, mais aussi parce que chacun des cinq albums qui suivent ont tous été, à un moment donné, mon album préféré de l’année.

Ensuite, j’ai compilé un (une?) playlist Spotify avec cinquante morceaux qui résument assez bien ce qui a été cette année, pour moi. Ici aussi, les morceaux sont présentés alphabétiquement, donc le mode aléatoire est très chaudement recommandé.

Voici donc mes cinq albums préférés de l’année. See you next year!

Arctic Monkeys – Suck It And See

Oui, j’aime peut-être Arctic Monkeys un peu trop. Et alors? Je constate que depuis leurs débuts fracassants, ils n’ont jamais cessé d’évoluer, et leur quatrième album est peut-être leur plus cohérent, à la croisée des trois précédents et d’un sens mélodique inné. On n’oubliera pas d’évoquer non plus les prouesses lyriques d’Alex Turner, pour qui le cliché « meilleur parolier anglais depuis Morrissey » est probablement exact, mais sans oublier l’évolution tout aussi constante des musiciens. On connaissait déjà ce que le batteur Matt Helders était capable de faire, on découvre ici encore un peu plus les lignes de basses complexes et maîtrisées de Nick O’Malley. Puisqu’il faut trouver quelque chose, on regrettera peut-être la présence du stupide Brick by Brick, mais Arctic Monkeys n’en a jamais fait qu’à leurs têtes, et placer un tel morceau comme premier extrait de l’album quelques mois avant sa sortie, était une nouvelle tentative, réussie, de brouillage de pistes. Rarement un groupe aura été aussi bon après quatre albums (Standing on the Shoulder of Giants?), et le groupe ne semble pas vouloir s’arrêter en si bon chemin. Probablement le meilleur groupe rock moderne actuel.

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The Joy Formidable – The Big Roar

J’ai écouté The Joy Formidable par curiosité, après avoir lu une comparaison avec Nirvana et My Bloody Valentine. Étrangement, la comparaison est valable : le power trio gallois alliant la puissance brute des premiers avec le maelstrom sonore des seconds. Mais ils sont bien plus que ça, que ce ne soit que grâce à la personnalité et la voix de la minichanteuse Ritsy Bryan. Un premier album très abouti, puissant et confiant, qui donne beaucoup d’espoir dans un avenir pourtant semé d’embûches. Mais ça, ils le savent probablement très bien. En attendant le syndrome du second album, le premier a bien mérité sa place cette année. Puis, Dave Grohl aime bien, qui suis-je pour le contredire?

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J Mascis – Several Shades of Why

J Mascis est un des plus fantastiques guitaristes de tous les temps, et je n’essaierai même pas d’argumenter. Il joue aussi très très fort. Quand on a su qu’il sortait un album solo majoritairement acoustique, on pouvait se poser des questions. C’était sans compter sans l’autre énorme talent de J : sa voix. Sous-évaluée derrière sa cape de guitar hero, elle est capable de transporter au moins autant d’émotions que sa Fender Jaguar. Et quand Mascis utilise ces deux talents au service de chansons superbement écrites, et parfois relevées de collaborations aussi efficace que discrètes (Kurt Vile, Ben Bridwell, Kevin Drew), on arrive sans peine à un des plus beaux albums de l’année, et un des plus chargés en émotion. Tout cela (presque) sans guitare électrique…

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Wild Flag – Wild Flag

Un nouveau groupe qui envoie toutes guitares dehors des mélodies somptueuses et des morceaux très entraînants. On ajoute à cela une alternance entre les deux vocalistes qui empêche toute lassitude, et on arrive à un des meilleurs premiers albums de l’année. Mais alors, pourquoi est-ce qu’on n’a pas encore plus parlé d’un groupe qui semble être une valeur à suivre pour l’avenir du rock? Probablement parce que même s’il s’agit du premier album de Wild Flag, ses membres ne sont pas inconnus du tout, ayant sévi dans Sleater-Kinney (Carrie Brownstein et Janet Weiss) ou encore Helium (Mary Timony). Qu’importe, Wild Flag nous a tout simplement livré un des meilleurs albums de rock de l’année. Oui, c’est sans doute assez classique, elles ne réinventent pas la roue, mais elle n’a jamais eu besoin d’être réinventée non plus. Le ton des guitares est fantastique, la batterie percutante, et comme pour Sleater-Kinney, il n’y a pas de basse mais un clavier qui ajoute une dimension supplémentaire (mais discrète) au son. Et ça fait beaucoup du bien. Rock ‘n roll is dead, right? RIGHT?

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Yuck – Yuck

Bon, je plaide coupable. I’m a child of the nineties, et tout ça, c’est exactement le piège dans lequel je peux tomber. Dinosaur Jr, My Bloody Valentine, Pavement, Teenage Fanclub et j’en passe, Yuck ne fait que recopier tout ce que leurs ainés ont fait. Suicide Policeman est la plus belle chanson qu’Elliott Smith n’a jamais écrit, Operation est quasi une reprise de Teen Age Riot. Mais ils le font si bien, avec une production lofi pourrie et une guitare Mascisesque à souhait, que je ne peux rien leur reprocher. L’avenir nous dira si leur attitude slacker et leur collection de vieilles pédales pourries ne sont que des gimmicks opportunistes, mais ici et maintenant, c’est un de mes albums préférés de l’année, et un de ceux que j’ai le plus écouté.

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