Archives de catégorie : Chroniques

Mon année 2011, troisième partie

Vingt albums pour résumer une année si riche, c’est peu. Ce n’est pas parce que j’ai très peu écrit (un « record », depuis 2003) que je n’ai rien écouté, heureusement. Beaucoup d’autres albums méritaient au moins une mention, sinon une chronique. D’abord, les EP. J’aime beaucoup les EP, parce que j’aime quand les albums sont courts, souvent. Cette année nous a amené quelques excellents EP, comme ceux de Trash Talk (six minutes de pure perfection hardcore), de Future of the Left (qui annonce un album l’an prochain), du projet de Shaun Lopez et Chino Moreno Crosses, des reformés et toujours excellents Chokebore et évidemment d’Alex Turner, dont la courte BO du film Submarine aura apporté à cette année ses moments les plus tendres. Mais on n’oubliera pas non plus les albums de Black Box Revolution (bien qu’ils n’ont pas évolué du tout), des Black Keys (idem), des Kills (idem), des écorchées vives EMA et Zola Jesus, de Battles (moins expérimentaux qu’avant, mais plus fun), des Raveonettes quand même, d’Art Brut (que ce ne soit que pour les paroles d’Eddie Argos), de dEUS et Jane’s Addiction (mieux que le précédent, mais moins bien qu’avant), de Stephen Malkmus qui se l’est jouée Pavement, de Thurston Moore qui se l’est jouée acoustique (tous deux produits par Beck) et j’en passe et certainement des meilleurs, comme Girls, dont j’ai vraiment beaucoup aimé le single Vomit, mais le reste, j’ai du mal. Ou encore Destroyer, que j’aurais certainement inclus dans le top si je l’avais écouté plus tôt. Mais bon.

(edit : et je viens de découvrir St. Vincent, trop tard…)

Ceci dit, voici la troisième partie du top 20, de 10 à 6. Prochain épisode demain avec le top 5 et la playlist Spotify très fourre-tout.

10 Iceage – New Brigade

L’autre côté du punk moderne. Contrairement à l’overdose de Fucked Up, l’album ne dépasse pas 25 minutes (12 morceaux) durant lesquelles on ne sait jamais si la balance va tomber sur le mot « post » (la reverb, les guitares angulaires) ou plutôt sur le mot « punk » (le rythme, les paroles scandées souvent inintelligibles). Je la fais tomber sur le mot fantastique, parce que ces jeunots (18 ans) danois ont réalisé le brûlot de l’année : incandescent, coruscant, très intense et hautement recommandé.

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9 Cloud Nothings – Cloud Nothings

Tiens, encore un peu de lo-fi. Cloud Nothings, c’est Dylan Baldi, un jeune homme très talentueux capable d’écrire des popsongs parfaites avec trois bouts de ficelle. Il me fait un peu penser à Harlem, l’an dernier. Très ensoleillé, l’album, forcément court, est une bien agréable bouffée d’air frais, entre morceaux enlevés un peu simples mais efficaces et superbes balades mélancoliques. On n’est pas dans l’expérimentation, bien entendu : deux accords, une pédale fuzz, une batterie sèche et une voix pas trop assurée. Mais que vouloir de plus? Réponse : un prochain album produit par Steve Albini (!) qui sort dans même pas un mois.

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8 Rival Schools – Pedals

Il aura fallu dix ans à Walter Schreifels, Ian Love, Cache Tolman et Sammy Siegler pour produire une suite à United by Fate, album culte d’un groupe qui l’était devenu suite à sa très longue pause. Contre toute attente, Petals est au moins aussi bon. Il est en tout cas plus varié, passant de moments limite pop (69 Guns) au postemohardcoremachin qui leur sied si bien (Eyes Wide Open). Terribles mélodies, production parfaite (Ian Love a passé ces dix ans à enregistrer et produire) et la voix inimitable de Schreifels pour un album court et excellent de bout en bout. Seul problème? Le guitariste Ian Love est déjà reparti. Et même si Rival Schools compte continuer en trio, rien ne sera plus jamais comme avant. Mais ces deux albums resteront pour toujours.

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7 Josh T. Pearson – Last of The Country Gentlemen

La claque de l’année. Josh T. Pearson est l’ancien chanteur/guitariste/poète maudit de Lift to Experience, et sur son premier album solo, il livre son âme. Gros cliché? Non, il livre véritablement son âme. Accompagné d’une seule guitare acoustique (et de cordes arrangés par Warren Ellis) il chante/parle en flux de conscience, en n’ayant littéralement rien à foutre. Aucune tentative de faire rimer ses phrases, aucun effort de rester bref (certaines chansons dépassent allégrement les dix minutes, dix minutes d’un type seul avec sa guitare, je répète) et aucun essai de diluer son personnage, qui apparaît comme le plus sombre pauvre type depuis le Rivers Cuomo de Pinkerton. Mais Pearson le fait avec une telle honnêteté qu’il a réussi, avec cet album, à faire avancer la science : j’ignorais qu’il était possible de rester bouche ouverte sans respirer pendant treize minutes.

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6 PJ Harvey – Let England Shake


J’ai souvent eu du mal à vraiment rentrer dans l’univers particulier de PJ Harvey, pour des raisons que je n’arrive pas vraiment à expliquer. Mais Let England Shake, qu’on le veuille ou non, est un grand album. Composé majoritairement à l’autoharpe, il évoque l’état passé, présent et futur d’Albion, ce qui lui confère un caractère intemporel. Album étrange, inhabituel, riche et dense, Let England Shake est exceptionnel, dans tous les sens du terme, et apportera quelque chose de plus à chaque écoute, récompensant ainsi l’auditeur attentif, notamment aux paroles.

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Mon année 2011, seconde partie

Chaque année apporte son lot de bonnes surprises, mais aussi de déceptions. 2011 aura vu, une fois de plus, un paquet de vieilles gloires se reformer (Soundgarden, Pulp, Suede, Stone Roses et environ trois millions d’autres) mais on attend toujours du nouveau matériel pour la plupart d’entre eux, qui se contentent de se la jouer Pixies. En ce qui concerne les vieilles gloires qui elles, ont sorti de la nouvelle musique, le bilan n’est pas très réjouissant. Red Hot Chili Peppers, Incubus, Korn, Limp Bizkit : moins on parle de leurs nouvelles productions, mieux c’est. D’autres ont été moins mauvais, mais sans plus : le retour de Blink-182 était très dispensable, et la somme de Beady Eye et de Noel Gallagher’s High Flying Birds ne vaut clairement pas Oasis. Mention encore plus spéciale à Coldplay, qui continue à réinventer le concept du c’est-pas-un-plagiat-mais-un-hommage et, naturellement, l’exploit olympique de Lulu. On aura aussi pu être déçu de tous ces groupes dont on nous promettait monts et merveilles, et qui n’auront juste tenu que le temps d’une couverture du NME, avant la sortie de leur album, évidemment. WU LYF (dont l’album n’est pas mauvais, mais…), (Viva) Brother, Frankie and the Heartstrings ou les Vaccines s’y reconnaîtront. Enfin, d’un point de vue purement personnel, je n’ai pas accroché à M83, et je ne supporte toujours pas Bon Iver, désolé.

Voici maintenant le second quart du « classement » de mes albums préférés de 2011, de 15 à 11.

15 Dum Dum Girls – Only In Dreams

J’aime beaucoup les Raveonettes, mais force est de constater que les Dum Dum Girls, produites par Sune Rose Wagner (et Richard Gottehrer, évidemment) ont dépassé le maître cette année. On a beau avoir eu ce qu’on attendait d’elles, on est positivement surpris par la relative variété de l’album, dans un contexte (shoegaze pop vaguement éthéré) assez restreint. Mention spéciale à l’hypnotique Bedroom Eyes, mais l’album, court, ne souffre d’aucun point faible. On notera aussi l’EP He Gets Me High, sorti plus tôt dans l’année et d’excellente facture également. D’ailleurs, vu que l’album n’est pas dispo sur Spotify, c’est l’EP qui est en lien ci-dessous.

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14 Fucked Up – David Comes to Life

The Shape of Punk To Come, qu’ils disaient. Le punk, en 2011, c’est ça (et les jeunes du numéro 10, on y arrive) : à savoir prendre les règles, les mettre dans une boîte, sauter dessus à pieds joints et puis la poignarder. Ce qui, finalement, n’a pas vraiment changé en 25 ans ; ce qui a changé, c’est l’application. Fucked Up a sorti un album très, très long (pas aussi long que Lulu, mais long quand même), avec aucun temps mort, et, qui plus est basé sur un concept que je pourrais vous raconter si j’avais réussi à suivre le flot incontrôlable éructé par Damian « Pink Eyes » Abraham pendant une heure et vingt minutes qui cognent fort. Trop fort, d’ailleurs, on pourrait parfois rechercher un peu d’air, et un peu de variété. Mais hey, punk rock. Green Day ce n’est pas.

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13 Beastie Boys – Hot Sauce Committee Part II

On l’aura attendu, cet album. Le trio new-yorkais n’a jamais été pressé (ce n’est jamais que leur troisième album en treize ans, si l’on exclut l’instrumental The Mix-Up), mais le cancer d’Adam Yauch a reporté l’album de plus d’un an. L’attente aura largement valu la peine : HSC2 (le 1 n’existera probablement jamais, comme ils sont drôles) est un excellent album d’un groupe qui n’aura de toute façon jamais été mauvais. Mais de là à être si bon, il y avait une marge, facilement franchie. Samples adéquats, flows inspirés, passages instrumentaux (une majorité de « vrais » instruments) tantôt secs, tantôt planants , une sorte de Sabotage du vingt-et-unième siècle (Lee Majors Come Again) et du tube (Don’t Play No Game That I Can’t Win) : il y a à boire et à manger, mais rien à jeter. Très impressionnant.

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12 Radiohead – The King of Limbs

AKA the Twitter album. Il est sorti tellement vite, 24 heures avant la date prévue, que tout le monde s’est jeté dessus pour être le premier à en parler. Sauf que tout ce petit monde s’est rendu vite compte qu’il s’agissait de l’opus le plus sombre, le plus expérimental et le moins immédiat de toute leur carrière. Les reviewers plus rapides que leur clavier en ont déduit qu’il n’y avait pas de guitare (il y en a sur chaque morceau, ou presque) et qu’il allait forcément y avoir très vite une suite, on n’allait quand même pas n’avoir que ça. Si on essaie de s’élever un peu au dessus de cet océan de médiocrité, on se rendra compte que TKOL est un album captivant, qui fonctionne comme une unité difficilement divisible, et qui comprend quelques terribles moments de brillance. Et pour ceux qui regrettent un Radiohead un peu plus traditionnel (pas celui de The Bends, quand même), le récent single Staircase/The Daily Mail est à conseiller. Pour ce qu’il est, The King of Limbs est un bon album, mais très insaisissable.

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11 Kurt Vile – Smoke Rings for My Halo

Kurt Vile rend la vie facile. Tout a l’air si simple, pour lui. On a vraiment l’impression qu’il s’assied dans un fauteuil, sort sa guitare, démarre son 4-pistes, et voilà. Springsteen/Young/Dylan post-quelque chose, version bedroom lo-fi. Superbes mélodies, un jeu de guitare aérien et une voix forcément pas trop assurée, à mi-chemin entre ces parangons du brol bricolé que sont Thurston Moore et Graham Coxon. On risque parfois de tomber dans la neurasthénie, mais peut-être qu’un jour, Kurt Vile nous fera un vrai album, bien produit et tout ça. Et on regrettera celui-ci. Très fort.

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La suite bientôt, avec en plus les oubliés de ce classement.

Mon année 2011, première partie

Drôle d’année, 2011. Beaucoup de buzz pour pas grand chose, des retours fracassants et d’autres complètement fracassés, des gros groupes qui n’en finissent pas de décevoir, des valeurs sûres qui prennent des risques payants, et des trucs populaires/hype que je continue à ne pas supporter. Sur un plan personnel, j’ai perdu un ami cette année, qui était aussi un de mes lecteurs les plus fidèles, et une source d’inspiration constante. Sa disparition est certainement une des raisons pour lesquelles j’ai très peu écrit cette année, mais elle m’a aussi permis de faire la connaissance de personnes qui m’ont aussi permis de découvrir pas mal de trucs, et d’en discuter, de les apprécier. Le cycle de la vie, je suppose. Trève de blabla, comme je n’aurai pas foutu grand chose cette année, je profite de cette fin 2011 pour faire un top 20 argumenté, histoire de faire d’une pierre deux coups. Chaque album (ou presque) est disponible en écoute sur Spotify, et, évidemment, le classement est totalement subjectif et personnel. Je n’ai pas tout écouté cette année, et il n’y a aucune raison qu’un album soit mieux classé qu’un autre, c’est de l’art, pas une compétition sportive quelconque. Il vaut donc mieux ne pas accorder d’importance aux places, et simplement écouter la musique.

On commence avec les places 20 à 16.

20 The Vaccines – What Did You Expect from the Vaccines?

Les Vaccines allaient sauver le rock ‘n roll, évidemment. On n’avait plus entendu un tel buzz depuis les Strokes, il y a maintenant dix ans. On en est bien loin : leur premier album est passable sans plus, leur attitude de faux punks/vrais fils à papa est assez méprisable, et leur tendance à mal copier plus ou moins n’importe qui est pitoyable (on laissera le sexisme primaire pour une autre fois). Mais quand on fait les comptes d’une année 2011 où AUCUN des quarante singles les mieux vendus au Royaume-Uni ne provient d’un « groupe à guitare », on se met à espérer qu’un groupe valable se dise qu’il peut faire bien mieux que ça. C’est pour ça qu’il mérite une place dans le top 20, même si au moins 370 albums de 2011 sont meilleurs que celui-ci.

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19 R.E.M. – Collapse Into Now

Parce qu’on n’aura plus jamais l’occasion d’inclure un album de R.E.M. dans un top 20. Parce que, lors de ma chronique initiale, j’écrivais que R.E.M. est un groupe dont on veut qu’il ne se sépare jamais. Parce que Collapse Into Now est un bon résumé de leur carrière, un peu de tout, lent, rapide, pop, rock, et parfois n’importe quoi. Parce que c’est R.E.M., quoi.

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18 Miles Kane – Colour of the Trap

Où Miles Kane devait sortir de l’ombre d’Alex Turner, après moultes collaborations et un projet parallèle. Le succès est au rendez-vous : Colour of the Trap est un album classieux, influencé swinging sixties mais quand même personnel et varié. Kane développe sa propre voix, qui n’est pas mauvaise du tout, on attend juste qu’elle s’émancipe encore un peu plus. Parce que Turner a quand même coécrit la moitié de l’album.

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17 Algernon Cadwallader – Parrot Flies

Certains genres musicaux évoluent bien plus qu’on ne pourrait le croire. Non, l’emocore n’est pas mort, il a juste pris une forme nettement plus inventive et moins irritante. Revendiquant clairement l’influence emo dans la voix (et quand je dis emo, je ne parle pas de Twilight, hein, plutôt de Far, Sunny Day Real Estate, etc.), Algernon Cadwallader envoie le genre dix ans dans le futur avec un jeu de guitare époustouflant et terriblement inventif rappelant autant les méandres géniaux de Stephen Malkmus que les solos d’une note de Neil Young (le terrible premier morceau, Springing Leaks), le tout produit chez Sub Pop. Et tant qu’à faire dans les comparaisons glorieuses des années 90, Robert Pollard aimerait bien avoir toujours autant d’idées excellentes (en moyenne 17 par morceau, Pollard, il fait quinze albums avec ça). Et les mélodies? Si Brian Wilson avait entendu Parrot Flies, il n’aurait jamais voulu retrouver les Beach Boys (façon de parler, son banquier l’aurait convaincu, crise financière et tout ça). Soit, Parrot Flies est un album étonnant et détonnant, dense et chargé émotionnellement mais reste, oui, fun. Une bête étrange, et une jolie découverte personnelle (merci MDEIMC!).

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16 Foo Fighters – Wasting Light

Dave Grohl, il est fort, très fort. Wasting Light a été enregistré dans son garage, directement sur bande, sans ordis, produit par Butch Vig, et avec une apparition de Krist Novoselic. Il le répète tout le temps, à n’importe qui. Finalement, l’album de punk garage abrasif n’aura été qu’un disque de rock contemporain, légèrement mieux que les dernières productions des FF, mais bien loin d’une oeuvre de génie. Reste que Grohl sait écrire d’excellents morceaux (même si trop de pré-refrains tuent le refrain), et la triple guitar arrack (Shiflett – Smear – Grohl) fait parfois très mal (Bridge Burning). Certainement pas un mauvais album (Arlandria, Dear Rosemary comptent parmi leurs meilleurs morceaux), mais l’excitation atteinte à sa sortie est vite retombée.

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La suite (plus ou moins) demain, avec un peu de blabla sur mes déceptions de l’année.

R.E.M. – Part Lies, Part Heart, Part Truth, Part Garbage 1982–2011

R.E.M., c’est donc fini. Jusqu’à l’inévitable réunion lucrative, disent déjà les plus cyniques. Peut-être, on verra bien. Mais là, maintenant, R.E.M. a tiré un trait sur trente ans de carrière à l’aide de cette compilation qui se veut, pour la première fois, complète. En effet, les précédentes compiles du quatuor devenu trio d’Athens, Georgia étaient éditées par l’un ou l’autre de leurs deux labels successifs, IRS et Warner. Part Lies … relie les deux périodes, avec treize extraits IRS et vingt-sept Warner, dont trois inédits.

Forcément, on parle ici d’une compile grand public récapitulative d’une carrière qui a débuté en 1982. Elle se devait donc de reprendre leurs plus grands succès (oui, y compris Shiny Happy People) et se concentrer sur les périodes les plus fructueuses du groupe en termes de succès commercial. On aura donc beaucoup d’extraits de GreenOut of Time et Automatic for the People, mais nettement moins des albums post-1992, dira-t-on. Mais chaque album du groupe est représenté, et si l’on pourra facilement chicaner sur l’absence/présence de l’un ou l’autre morceau, le tracklist semble assez satisfaisant.

L’écoute de l’album, structuré chronologiquement, permet aisément de suivre l’évolution du groupe. Leurs débuts « college rock », où les paroles de Michael Stipe étaient alors absolument incompréhensibles. Leur arrivée chez Warner, et ensuite l’accumulation progressive de hits : Losing My Religion, Shiny Happy People, Everybody Hurts, Man on the Moon. Leur installation dans le rock contemporain comme un des plus gros groupes du monde, et la sortie régulière d’albums qui ne feront plus trop parler d’eux, jusqu’au très musclé Accelerate et le tout dernier, Collapse Into Now. C’est d’ailleurs une des idées préconçues les plus solides sur R.E.M : qu’ils ne font plus rien de bon depuis dix, quinze voire vingt ans. S’il est vrai qu’ils ont connu une période creuse en ce qui concerne la qualité de leurs albums, ils ont à chaque fois réussi à sortir quelques popsongs fantastiques lors de leur troisième décennie, comme le sous-estimé Leaving New York, Imitation of Life ou encore The Great Beyond et Bad Day. Mais on retiendra surtout de R.E.M. cette faculté de créer des atmosphères souvent fort particulières, sans (presque) jamais céder aux modes. L’étrange, inquiétant et méconnu New Adventures in Hi-Fi en est un parfait exemple.

On pourrait aisément parler de chacun des quarante morceaux présents ici, mais analyser R.E.M est aussi futile que tenter de déchiffrer les paroles de Gardening at Night. R.E.M. est incontestablement un des groupes rock les plus importants de l’histoire. Alors, est-ce qu’il a toujours mérité son statut? Est-ce qu’il est un des meilleurs groupes depuis que Les Paul a créé la guitare qui porte son nom? R.E.M. n’a jamais vraiment poussé les limites de la composition musicale, a connu quelques périodes creuses, mais restera toujours, au moins, un bien bon groupe rock. Ceci en est son anthologie. Libre à chacun de pousser la découverte ou l’approfondissement dans les quinze albums studio du groupe, où on trouvera, effectivement, un peu de déchet, mais beaucoup de coeur. Farewell.

Spotify : R.E.M. – Part Lies, Part Heart, Part Truth, Part Garbage 1982–2011

Manic Street Preachers – National Treasures : The Complete Singles

Une compilation des singles des Manic Street Preachers ne pouvait qu’être à l’image du groupe : imparfaite, excessive et passionnante. Imparfaite, parce que même si elle est censée être complète, elle ne l’est pas : les deux premiers singles (Suicide Alley et New Art Riot) sont absents, ainsi que deux doubles faces A (Repeat et PCP). Enfin, on ne pourra que regretter l’absence d’extraits du fabuleux Journal for Plague Lovers, mais vu qu’aucun single n’en était extrait, cela se justifie. Excessif, parce qu’on a quand même trente-huit morceaux (Charts UK : 33 consécutifs dans le top 40, dont deux n°1 et quinze top 10) dont huit provenant de la période entourant leur premier album, Generation Terrorists. La littérature racontant l’histoire très troublée du groupe est abondante, on se concentrera donc le plus possible sur la musique. C’est alors qu’on arrive au troisième adjectif : passionnante.

En vingt ans de carrière, il n’y a pas grand chose que les Manics n’ont pas fait. Citons en vrac : déclarer que le groupe se séparera après avoir vendu dix millions d’exemplaires de leur premier album (ni l’un ni l’autre ne se produira), sortir un des albums les plus intenses, sombres et inflexibles du rock contemporain (The Holy Bible) puis perdre (littéralement) un membre du groupe et sortir ensuite un autre album (Everything Must Go) qui leur offrira un succès populaire qui semblait inimaginable un an auparavant. Quoi d’autre? Suivre ce disque d’un autre dans la même veine, choper deux premières places des charts anglais puis partir à Cuba, jouer devant Castro et créer un album long, complexe et tellement inégal que comparé à Know Your EnemyBe Here Now serait du Minor Threat. Le suivre d’une collection de « pop élégiaque », de « Holy Bible pour quarantenaires » qui sera en fait un album embarrassant de maladresse. Et enfin, retrouver un succès commercial de nouveau perdu pour mieux l’enfouir dans un album sans singles, produit par Steve Albini et aussi claustrophobe que The Holy Bible, pour finalement revenir avec « une dernière tentative de communication de masse ».

National Treasures suit chronologiquement ce chemin, des débuts surexcités et ambitieux imitant autant Guns ‘N Roses (Slash ‘n’ Burn) que les Clash (You Love Us) avec une première perle : Motorcycle Emptiness, un des classiques du rock anglais des années 90. Le second album (Gold Against The Soul) verra le groupe canaliser ses ardeurs au format radio, en produisant quatre singles alliant qualités commerciales à un son sans trop de compromis, et surtout, aux paroles vraiment différentes de ce que la Britpop de l’époque pouvait fournir. So far so very good, mais le troisième album ne rentrera plus du tout dans le format radio. Ce qui fait que les trois singles extraits de The Holy Bible sont bien loin d’être ses meilleurs morceaux. De toute façon, l’album est une oeuvre majeure qui ne peut pas être réduite à ce qui est présent ici, même si Faster est toujours aussi efficace.

Richey James Edwards disparaît sur les rives de la Severn, et les Manic Street Preachers décrochent leur premier mégahit (le toujours poignant A Design for Life), et deviennent un gros groupe. Les huit singles des albums Everything Must Go et This Is My Truth Tell Me Yours reflètent cette époque, mais avec un certain panache : If You Tolerate This Your Children Will Be Next est sans doute le seul n°1 évoquant la guerre civile espagnole en citant Woody Guthrie, Tsunami raconte une histoire sordide de viols et meurtres sur une musique qui aurait donné un hit à REM alors que Kevin Carter est le dernier single du groupe porté par des paroles de Richey (« The elephant is so ugly / He sleeps his head machetes his bed / Kevin Carter kaffir loves forever »). Mais comme toujours dans l’histoire du groupe, une action crée une réaction : The Masses Against the Classes, single hors album explose à 200 à l’heure le classicisme de This is My Truth, et l’album suivant, Know Your Enemy, marque le début de la troisième (au moins) période de la carrière des Manics : celle où on doit séparer nous-même le grain de l’ivraie. Parce que même si KYE comprend son lot de bons morceaux, ils n’ont pas vraiment été choisis comme single, Let Robeson Sing étant le plus pénible du lot.

On sait donc quoi faire pour la suite : on ignorera Lifeblood (le groupe lui-même l’a ignoré dès sa sortie, en ne reprenant que deux singles), on se dira que Your Love Alone Is Not Enough est « juste » une fantastique chanson pop, on regrettera que Jackie Collins Existential Question Time ne soit jamais officiellement sorti comme single, et on finira par penser que pour un dixième album, Postcards from a Young Man n’est pas mauvais. Même si, une fois de plus, les singles choisis sont discutables, tout comme le choix de l’inédit obligatoire, une reprise dispensable de The The.Naturellement, on n’est pas en présence d’un véritable best of : les morceaux ont été froidement choisis sur un seul critère, qui n’est pas celui de la qualité. Cependant, un véritable best of des Manics serait nécessairement imparfait : comment choisir parmi trois cent morceaux? Au moins, ici, on a l’avantage de l’objectivité, même si un second album de « deep cuts » aurait pu être intéressant et complémentaire. National Treasures et ses impressionantes contradictions doit être une porte ouverte vers un des plus intéressants groupes contemporains. Et pour l’amour de ce que vous aimez le plus, allez écouter The Holy Bible et Journal for Plague Lovers.

Spotify : Manic Street Preachers – National Treasures