Kaiser Chiefs – Yours Truly, Angry Mob

2005, en Angleterre, c’était l’année de la mort des Libertines, et de l’avènement de Kaiser Chiefs, le groupe idéal car capable de plaire aux enfants, aux ados pas très rebelles, aux parents qui se souviennent de Madness et aux grand-parents, parce qu’ils sont bien habillés (le clavieriste a un chapeau). Leur premier album, Employment (indulgemment critiqué ici), s’est vendu par camions, a décroché quelques Brit Awards, mais se devait d’être bien suivi, sous peine d’un voyage vers l’oubli, à la Datsuns.

Les Kaiser Chiefs n’ayant pas l’intention de renouveler le genre (et n’en sont probablement pas capables, de toute façon), il était peu probable qu’ils changent de style, mais il fallait encore qu’ils ne s’auto-parodient pas, et qu’ils montrent (un peu) d’évolution musicale. Et sans vouloir être trop critique, c’est plus ou moins ce qu’on a ici. Ruby, le premier morceau et premier single, est excessivement catchy, tout à fait consommable, et fera chanter des hordes d’anglais assoiffés dans les festivals d’été (et pas qu’anglais d’ailleurs, KC étant confirmé pour une chouette journée à Werchter). La suite, sans grande surprise, allie morceaux rapides, faciles à digérer et ballades pas trop lourdes, faut pas exagérer non plus.

On notera juste une légère recherche d’amélioration, les morceaux sont moins clichés qu’avant (moins de ooh ooh), et le tout est un peu plus varié musicalement, avec cette fois des clins d’oeils vers leurs pairs plus sérieux, Franz Ferdinand (High Royds). Mais bon, tout cela reste assez facile, très inoffensif, et parfois irritant (Everything Is Average Nowadays, du pain bénit pour leurs détracteurs).

On ne peut pas dire que ceci soit un mauvais album, car il a trop peu de saveur pour être mauvais. Kaiser Chiefs a sa place dans le paysage musical contemporain, celui du groupe, en festival, qu’on utilise pour aller faire pipi. Il en faut.

Rage Against The Machine – Rage Against The Machine (1992)

rageEn 1992, même si cela semble impossible à imaginer maintenant, on voyait des clips de rock à la TV. Même sur MTV. L’attention était centrée sur Seattle, où deux groupes en particulier se faisait entendre : Pearl Jam et Nirvana. Un peu plus au sud, un des mélanges musicaux les plus extrêmes et les plus importants de l’histoire commençait à faire du bruit. Beaucoup de bruit.

En 1992, même si cela semble impossible à imaginer maintenant, on ne voyait pas beaucoup de clips de rap à la TV. Même pas sur MTV. Le mouvement était encore underground, et signifiait encore autre chose que des pouffes aux gros seins, des bagnoles tunées et des sonneries de GSM. C’était la voix de la rue, the Voice of the Voiceless. Voix qui faisait peur a l’establishment WASP américain, malgré le génie et la popularité d’artistes comme Public Enemy ou Afrika Bambaataa, pour n’en citer que deux. Aussi peur, si pas plus, que le heavy metal des années 70.

Il ne manquait plus qu’allier les deux, y ajouter une grosse dose de littérature sociale, pour tenter de changer le monde. Et pour cela, quoi de mieux qu’un groupe composé de gamins d’origines et de cultures diverses. Rage Against The Machine est né, et en 1992 sortit un des albums les plus importants jamais enregistrés. Zach de la Rocha, Tom Morello, Tim Commerford et Brad Wilk allaient changer le rock n roll.

Car il changea la face de l’industrie musicale, créant un pont entre les différents styles musicaux (ce qu’avaient déjà tenté de faire, avec succès, les jeunes Red Hot Chili Peppers), alliant différentes cultures derrière un message politique, pire : communiste. Rage n’a jamais fait dans la demi-mesure. Quand ils faisaient de la critique sociale, c’était avec un message marxiste, quand ils voulaient supporter les minorités opprimées dans le monde, c’était en apportant des armes à la guérilla mexicaine, et quand ils voulaient se faire entendre, c’était avec de la putain de musique.

Putain de musique, alliant la violence pure du hardcore new-yorkais, le phrasé des meilleurs MC, le rythme de Funkadelic et du pur metal influencé par Jimmy Page et Fred Sonic Smith. Le premier album, dans sa totalité, est un exemple parfait de tout cela, et il serait aussi futile qu’inutile de le diviser en morceaux individuels, même si Killing In The Name Of est un vrai hymne, dont le thème sera toujours d’actualité pour de nombreuses années.

Mais le plus bluffant, c’est l’incroyable talent musical du groupe, avec une section rythmique dantesque et Tom Morello, éminemment reconnu comme un des guitaristes les plus originaux du monde. Rage a toujours mis un point d’honneur à préciser qu’aucun instrument autre que guitare, basse et batterie n’était présent sur leurs disques, ce qui se révèle stupéfiant quand on entend Morello imiter tour à tour un mur de violons et une platine de DJ.

Trois excellents albums plus tard (plus un album de reprises tout aussi percutant), Rage Against The Machine se sépara dans la douleur. Zach de la Rocha disparut du radar, alors que les trois musiciens formèrent Audioslave, donc la carrière (trois albums) ne fut pas vraiment une réussite. Et il y a quelques semaines, arrive l’improbable : Rage Against The Machine se reforme, tout d’abord pour un concert unique au festival de Coachella, et ajoute ensuite trois dates conjointes avec le Wu-Tang Clan. Allié avec la fin officielle d’Audioslave, on se met à rêver d’une reformation, d’un nouvel album qui serait tellement d’actualité (il suffit d’imaginer que Rage était déjà fini quand Bush accéda au pouvoir), et d’un triomphal retour.

Dans une époque où tout est mis en oeuvre pour nous empêcher de réfléchir, nous devons mettre toutes les chances de notre côté. Et Rage Against The Machine est plus qu’une chance, c’est un modèle de vie et de réflexion.

Sex Pistols – Never Mind The Bollocks Here’s The Sex Pistols (1977)

Never Mind The Bollocks Here’s The Sex Pistols n’est foncièrement pas terrible, et pour avoir soi-disant lancé le mouvement punk, il n’est même pas le premier dans le domaine. Il n’empêche, il est, et reste, un des albums les plus importants de tous le temps. Autant tordre le cou aux mauvaises langues (et aux mauvaises doubles métaphores) : que ce soit le groupe lui-même, Malcolm McLaren ou le pape qui a créé les Sex Pistols, on s’en fiche, ce qui compte c’est le produit fini, et son impact inouï.

D’abord, le nom du groupe et le titre de l’album touchent tous deux aux tabous bien actifs à l’époque, le sexe et la vulgarité. Ensuite, les deux premiers singles (et les meilleurs morceaux ici) : God Save The Queen (rime suivante : « the fascist regime ») et Anarchy In The UK (et son légendaire « no future »). Et puis, la musique, alliant riffs rock n roll à la voix traînante et aggressive de Johnny Rotten, et évidemment l’attitude, chambres d’hôtel en moins.

L’album commence fort : Holiday In the Sun fait d’emblée une référence aux camp de concentration de Belsen-Bergen, avant que Bodies ne parle d’avortement (encore pas facile maintenant, alors en 77…). La suite est du même acabit, se terminant avec EMI, cinglante attaque (ô combien d’actualité) sur un des futurs Big Four, vampires de la musique moderne. Évidemment, les deux singles marquent l’album, ainsi que d’autres excellents brûlots, comme Problems.

Alors, oui, tout cela est limité musicalement, les morceaux se ressemblent un peu/beaucoup, on a quand même un tiers de potentielles faces B, l’humour puéril de Rotten peut fatiguer (Pretty VaCUNT, ok, on a pigé), et la recherche constante de la confrontation n’est pas des plus subtiles (The Clash arrive, ceci dit). Mais on ne fait pas une révolution avec des nuances.

Never Mind The Bollocks a crée le premier trou générationnel au sein même du rock, et à permis de relancer une machine qui commençait, paradoxalement, à s’embourgeoiser. Les tendances musicales évolueront, certains appelleront même punk des clowns à la Offspring ou Blink-182. Mais rien ne changera l’importance d’un album qui n’a pas changé la musique, mais la société elle-même.

Idlewild – Make Another World

On le répète à chaque nouvelle sortie des écossais d’Idlewild (c’est le sixième album) : une telle évolution dans le contexte assez fermé de l’indie rock actuel, c’est assez rare. Après des débuts punk noisy, et suivant une évolution progressive, le dernier album du groupe était plus calme, plus posé, mais très bien réalisé. Le chanteur Roddy Woomble ayant sorti l’an dernier un album solo au caractère nettement folk, on pouvait imaginer que les pédales de distortion allaient revenir en force. Et on n’avait pas tort, même s’il est clair que l’Idlewild période Hope Is Important n’existera plus jamais.

Le premier morceau rappelle directement 100 Broken Windows, paut-être le meilleur album du groupe, grâce aux guitares cinglantes, au jeu de batterie – enfin – rapide, et à la voix filtrée de Woomble. Alors, retour aux sources? C’est sans connaître le constant désir d’évolution, et surtout le refus de faire marche arrière qui caractérise le quintet depuis maintenant dix ans. Les deux morceaux suivants sont terriblement mélodiques, mais ne poussent ni sur le champignon ni sur l’excès de pathos. Très bien réalisé, mais on commence à avoir une petite peur : et si Make Another World était l’album pilote automatique? Make Another World, la chanson, est le morceau le plus hymne de stade jamais enregistré par Idlewild, et il faut le déferlement de décibels très attendu qu’est If It Takes You Home pour respirer un peu : non, le « REM écossais » ne se transforme pas en U2. D’ailleurs, la fin de l’album est dominée par les guitares, mais cette fois de manière plus construite et moins face-melting. Au rayon folk, Woomble n’avait pas tout pris pour son solo, il reste ici l’excellent Once In Your Life (du moins son début).

Make Another World est une photographie parfaite d’Idlewild en 2007 : mélange harmonieux entre guitares angulaires, sensibilités folk et paroles littéraire, entre brûlots rock avec solos et envolées matures. On regrettera peut-être que l’album semble trop calculé, ou du moins pas assez spontané, ce qui était justement la qualité principale de 100 Broken Windows, et dans une moindre mesure, The Remote Part. Un très bon album, cependant, mais inférieur à l’immense talent du groupe, qui tend à se disperser ces dernières années. Il est donc difficile de parler de déception, mais on attendait peut-être autre chose. On demandait sans doute trop.

Kelly Jones – Only The Names Have Been Changed

Pour ceux pour qui le nom ne leur dit rien, Kelly Jones est le leader de Stereophonics, groupe gallois qui avait bien commencé, avant de s’enfermer dans un carcan AOR assez pénible. Ceci dit, leur dernier album était intéressant, et celui-ci l’est encore plus.

Album solo enregistré en une prise, Only The Names Have Been Changed est évidemment aux antipodes du son hymnes stades de foot habituel, et tant mieux. Kelly mettait la barre très haut, avec comme références Johnny Cash et Nick Cave, et même s’il n’égale ni l’un ni l’autre, force est de constater qu’il fait mieux que se débrouiller. L’album est fort old-fashioned, chaque morceau porte le nom d’une fille, amours contrariées, déçues et hyper romantisées (du genre, « I looked for her, out on the porch »), et les morceaux très dépouillés : une guitare électriques, et des violons discrets. C’est tout.

En fait, pas vraiment, car il reste un élément important : la voix de Jones, qui n’a quasi jamais été aussi bien utilisée, et qui fonctionne merveilleusement bien dans ce contexte. De plus, Kelly ose changer de registre vocal, et avec succès. Malheureusement, l’album souffre un peu de son contexte, ce qui fait que les morceaux se ressemblent tous un peu, sauf le très Murder Ballads Violet.

Il reste que Only The Names Have Been Changed prouve que Kelly Jones est un très bon chanteur et un superbe storyteller (on s’en était déjà rendu compte sur le très bon premier Stereophonics, Word Gets Around), dont la mauvaise passe semble être derrière lui. On viendrait presque à anticiper le prochain ‘Phonics, mais en attendant, ceci fait bien l’affaire.

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