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Manic Street Preachers – National Treasures : The Complete Singles

Une compilation des singles des Manic Street Preachers ne pouvait qu’être à l’image du groupe : imparfaite, excessive et passionnante. Imparfaite, parce que même si elle est censée être complète, elle ne l’est pas : les deux premiers singles (Suicide Alley et New Art Riot) sont absents, ainsi que deux doubles faces A (Repeat et PCP). Enfin, on ne pourra que regretter l’absence d’extraits du fabuleux Journal for Plague Lovers, mais vu qu’aucun single n’en était extrait, cela se justifie. Excessif, parce qu’on a quand même trente-huit morceaux (Charts UK : 33 consécutifs dans le top 40, dont deux n°1 et quinze top 10) dont huit provenant de la période entourant leur premier album, Generation Terrorists. La littérature racontant l’histoire très troublée du groupe est abondante, on se concentrera donc le plus possible sur la musique. C’est alors qu’on arrive au troisième adjectif : passionnante.

En vingt ans de carrière, il n’y a pas grand chose que les Manics n’ont pas fait. Citons en vrac : déclarer que le groupe se séparera après avoir vendu dix millions d’exemplaires de leur premier album (ni l’un ni l’autre ne se produira), sortir un des albums les plus intenses, sombres et inflexibles du rock contemporain (The Holy Bible) puis perdre (littéralement) un membre du groupe et sortir ensuite un autre album (Everything Must Go) qui leur offrira un succès populaire qui semblait inimaginable un an auparavant. Quoi d’autre? Suivre ce disque d’un autre dans la même veine, choper deux premières places des charts anglais puis partir à Cuba, jouer devant Castro et créer un album long, complexe et tellement inégal que comparé à Know Your EnemyBe Here Now serait du Minor Threat. Le suivre d’une collection de « pop élégiaque », de « Holy Bible pour quarantenaires » qui sera en fait un album embarrassant de maladresse. Et enfin, retrouver un succès commercial de nouveau perdu pour mieux l’enfouir dans un album sans singles, produit par Steve Albini et aussi claustrophobe que The Holy Bible, pour finalement revenir avec « une dernière tentative de communication de masse ».

National Treasures suit chronologiquement ce chemin, des débuts surexcités et ambitieux imitant autant Guns ‘N Roses (Slash ‘n’ Burn) que les Clash (You Love Us) avec une première perle : Motorcycle Emptiness, un des classiques du rock anglais des années 90. Le second album (Gold Against The Soul) verra le groupe canaliser ses ardeurs au format radio, en produisant quatre singles alliant qualités commerciales à un son sans trop de compromis, et surtout, aux paroles vraiment différentes de ce que la Britpop de l’époque pouvait fournir. So far so very good, mais le troisième album ne rentrera plus du tout dans le format radio. Ce qui fait que les trois singles extraits de The Holy Bible sont bien loin d’être ses meilleurs morceaux. De toute façon, l’album est une oeuvre majeure qui ne peut pas être réduite à ce qui est présent ici, même si Faster est toujours aussi efficace.

Richey James Edwards disparaît sur les rives de la Severn, et les Manic Street Preachers décrochent leur premier mégahit (le toujours poignant A Design for Life), et deviennent un gros groupe. Les huit singles des albums Everything Must Go et This Is My Truth Tell Me Yours reflètent cette époque, mais avec un certain panache : If You Tolerate This Your Children Will Be Next est sans doute le seul n°1 évoquant la guerre civile espagnole en citant Woody Guthrie, Tsunami raconte une histoire sordide de viols et meurtres sur une musique qui aurait donné un hit à REM alors que Kevin Carter est le dernier single du groupe porté par des paroles de Richey (« The elephant is so ugly / He sleeps his head machetes his bed / Kevin Carter kaffir loves forever »). Mais comme toujours dans l’histoire du groupe, une action crée une réaction : The Masses Against the Classes, single hors album explose à 200 à l’heure le classicisme de This is My Truth, et l’album suivant, Know Your Enemy, marque le début de la troisième (au moins) période de la carrière des Manics : celle où on doit séparer nous-même le grain de l’ivraie. Parce que même si KYE comprend son lot de bons morceaux, ils n’ont pas vraiment été choisis comme single, Let Robeson Sing étant le plus pénible du lot.

On sait donc quoi faire pour la suite : on ignorera Lifeblood (le groupe lui-même l’a ignoré dès sa sortie, en ne reprenant que deux singles), on se dira que Your Love Alone Is Not Enough est « juste » une fantastique chanson pop, on regrettera que Jackie Collins Existential Question Time ne soit jamais officiellement sorti comme single, et on finira par penser que pour un dixième album, Postcards from a Young Man n’est pas mauvais. Même si, une fois de plus, les singles choisis sont discutables, tout comme le choix de l’inédit obligatoire, une reprise dispensable de The The.Naturellement, on n’est pas en présence d’un véritable best of : les morceaux ont été froidement choisis sur un seul critère, qui n’est pas celui de la qualité. Cependant, un véritable best of des Manics serait nécessairement imparfait : comment choisir parmi trois cent morceaux? Au moins, ici, on a l’avantage de l’objectivité, même si un second album de « deep cuts » aurait pu être intéressant et complémentaire. National Treasures et ses impressionantes contradictions doit être une porte ouverte vers un des plus intéressants groupes contemporains. Et pour l’amour de ce que vous aimez le plus, allez écouter The Holy Bible et Journal for Plague Lovers.

Spotify : Manic Street Preachers – National Treasures

Playlist Spotify – Manic Street Preachers

Je n’ai pas encore, loin de là, utilisé le potentiel de Spotify sur Music Box. Un jour, que j’espère proche, tout le monde pourra profiter des services de Spotify, gratuitement ou pour un montant mensuel qui sera modique par rapport aux services rendus par cette application totalement révolutionnaire. En attendant, il faut parfois bricoler pour en profiter : Spotify, même en version payante, n’est pas disponible en Belgique. Je vais essayer de concocter régulièrement des playlists sur différents thèmes, et voici le second, centré sur un groupe qui va bientôt fêter ses vingt ans de carrière et vient de sortir un excellent dernier album : Manic Street Preachers.

La playlist (ou le? j’écrirais bien liste d’écoute, mais ça fait trop québecois), en ordre chronologique, comporte quelques incontournables (Motown Junk, You Love Us, Design For Life) mais pas systématiquement leurs singles, histoire de peut-être faire découvrir d’autres choses, qui ne sont pas les morceaux les plus connus du groupe. J’y ai donc ajouté quelques morceaux d’album de choix (Sleepflower, Die In The Summertime, Nobody Loved You, ou encore le mégatube disco Miss Europa Disco Dancer), des faces B et raretés (Donkeys, 4Ever Delayed, Judge Yrself) ou des reprises, comme la version slide guitar de Been a Son, fascinante, ou, euh, Umbrella.

J’essaierai d’en refaire régulièrement, enjoy this one.

Playlist Spotify : Manic Street Preachers.

Manic Street Preachers – Postcards from a Young Man

Nicholas Jones, alias Nicky Wire, est le bassiste des Manic Street Preachers et leur principal auteur. Il en est aussi le porte-parole, et depuis que le groupe existe, elle a été très bien portée, la parole. On pourrait écrire un bouquin rien qu’avec des extraits d’interviews, ou ses éclats de voix sur scène. Il avait déclaré, lors de la sortie de l’excellent Journal for Plague Lovers, que ce n’était pas vraiment le nouveau Manics, vu qu’il était entièrement construit à partir de paroles écrites par Richey Edwards, disparu il y a maintenant quinze ans. Postcards from a Young Man, par contre, est bien la suite de Send Away the Tigers. C’est aussi, et surtout, « leur dernière tentative de communication de masse ».

C’est tout Wire, ça : un côté sombre, farouchement indie et contestataire, et un autre populaire sans jamais être populiste. Leur ambition de départ, il est vrai, était de vendre le plus d’exemplaires possible de leur début Generation Terrorists (1992) avant de se séparer. Les Manics ont toujours fonctionné par réaction : le nihilisme de The Holy Bible suivi du rock ample de Everything Must Go, le gros succès commercial de This Is My Truth Tell Me Yours suivi de l’incohérent Know Your Enemy, lui-même suivi de l’insipide et impersonnel Lifeblood. Postcards, quant à lui, fait donc suite au sec Journal for Plague Lovers : on remplace Albini par un orchestre, en gros.

Et ils y ont mis le paquet : l’album est truffé de hits en puissance, de cordes, de choeurs gospels, et même de guest stars, avec John Cale (Velvet Underground et héros gallois), Duff McKagan (Guns ‘N Roses), et Ian McCulloch (Echo & The Bunnymen). Le plus fou, dans tout cela, c’est que les Manics sont probablement le seul groupe au monde à pouvoir y arriver tout en restant crédibles artistiquement, parce que, l’effet de surprise passé, Postcards est un bien bon album.

Evidemment, comme toujours avec les Gallois, il faut garder quelques clés d’écoute en tête. Par exemple, on ne doit pas être trop sarcastique en écoutant l’ouverture de l’album, qui est aussi le premier single : It’s Not War (Just The End of Love) est tellement catchy qu’il en est proche du pastiche, surtout quand James Dean Bradfield fait rimer « love » et « enough ». Le morceau-titre suit, hurle « hit single » et balance un choeur gospel, des cordes, une batterie militaire, du piano, et j’en passe. Bradfield est dans son élément, donnant libre cours à sa voix de ténor, qui, cette fois, n’est plus bridée par les mots avec plein de syllabes écrits par Edwards. Je me moque, certes, mais il faut le faire, pour écrire et jouer des trucs aussi bien foutus. Si U2 essayait seulement Some Kind of Nothingness, on leur balancerait à la gueule des shoes fair trade faites par des gosses chinois, mais ici, ça marche. Bradfield, McCulloch, et un choeur gospel? Il fallait le trouver, et c’est fait.

Hazelton Avenue, nommé d’après une artère de Toronto, aurait, selon Wire, le meilleur riff du groupe depuis Motorcycle Emptiness. Il est effectivement ultra-catchy, tant que personne ne remarque qu’il ressemble à It Ain’t Over Til It’s Over, en quand même plus classe. Une fois de plus, et c’est le cas de quasi chaque morceau de l’album, le refrain rentre dans la tête, ne semble pas faire beaucoup d’effet, jusqu’à ce qu’on se surprenne à le fredonner des heures après. Tout cela est très bien, mais est-ce que tout cela ne manque pas un peu de… rock? Parce que bon, ok, Bradfield sort quelques solos sympas de sa bonne vieille Gibson Les Paul blanche, mais on garde quasi le même tempo partout. Effectivement, ce n’est pas Lifeblood, mais Postcards est le second album le plus tranquille du groupe. Il faut attendre le sixième morceau, Auto-Intoxication, pour avoir un peu de menace, un peu de crasse dans un album fort propre. Dommage que le refrain assez faible en fait un des moments les moins mémorables de l’album, malgré une seconde moitié rappelant carrément les débuts du groupe.

La face B de l’album continue le thème hyper-mélodique qui avait juste été mis de côté pendant trois minutes : Golden Platitudes commence comme une ballade au piano et évolue vers… une ballade avec orchestre et choeurs, encore. Je n’ose même pas imaginer à combien de millions d’exemplaires l’album se serait vendu quand on achetait encore des disques. Mais comme les Manics n’ont jamais voulu faire simple, ils varient un peu les choses quand même : le tellement mélodique que ça fait peur I Think I Found It semble comprendre une mandole, alors que All We Make Is Entertainment est en même temps un aveu de force/faiblesse de la part du groupe et une critique féroce de la lente et pathétique mort du gouvernement Labour (« clearing house for hell », soit le gouvernement Cameron). Encore un gros hit potentiel, il allie riff puissant (cette fois, c’est vraiment leur meilleur riff depuis Motorcycle Emptiness), double voix, batterie experte, refrain immense et un solo comme Slash n’en fait plus. En parlant de Slash, Duff McKagan fait une apparition sur le très bon A Billion Balconies Facing The Sun, et si c’est pour cela que Bradfield sort le grand jeu, merci à lui.

Wire prend une fois de plus un morceau à son compte, l’assez anecdotique The Future Has Been Here 4 Ever avec en guest la trompette de Sean Moore, qui n’avait plus été entendue depuis Kevin Carter. Elle ne manquait pas trop, mais bon, vu qu’il fallait mettre un peu de tout sur l’album, pourquoi pas, surtout que Wire chante de mieux en mieux (oui, bon, ok). La suite, et fin, est nettement meilleure. Don’t Be Evil, qui partage son titre avec le slogan de Google, aurait mérité sa place sur Journal for Plague Lovers, grâce au venin dans la voix de Bradfield, et aux guitares abrasives sans pareil sur l’album. De plus, pas de choeur en vue, ou l’ombre d’un violon : le morceau fait plutôt penser à l’outtake de The Holy Bible Judge Yrself. L’album se termine donc bizarrement sur cette note différente, et pour une fois, sans morceau caché. Une fois de plus, les Manics font ce qu’ils veulent, quand ils veulent : on repassera pour la cohérence, mais on ne se plaindra pas non plus.

Postcards from a Young Man est d’abord un tour de force : rares sont les groupes aussi relevants et aussi percutants après dix albums, vingt ans et une carrière très, très mouvementées. Comme pour chacune des leurs sorties, on pourra gloser sans limite sur leurs choix artistiques, mais ils sont, une fois de plus, parfaitement assumés. On recommandera l’édition spéciale de l’album, qui comprend un second cd de démos sans orchestration, histoire d’être persuadé, si besoin en est, que les morceaux se suffisent à eux-même. Mais les Manic Street Preachers ont voulu assumer ce « last shot at mass communication », et il a atteint son but, triomphalement. Chapeau bas.

Spotify : Postcards from a Young Man (Special Edition)

Manic Street Preachers – Journal for Plague Lovers

L’histoire des Manic Street Preachers est une des plus troublées du rock contemporain (on y reviendra dans quelques jours/semaines, d’ailleurs), la disparition de Richey Edwards en 1995 étant l’étape la plus tragique. Presque quinze ans et cinq albums plus tard, les trois membres restants ont choisi de sortir un album construit autour de ses paroles et enregistrés par le producteur préféré d’Edwards, Steve Albini.

Très vite, un parallèle est fait entre cet album et The Holy Bible, chef d’oeuvre du groupe (et un des albums les plus fascinants de tous les temps) aux paroles très personnelles écrites par Edwards, et à l’ambiance phénoménalement étouffante (et une autre peinture de Jenny Saville en pochette). ll n’en est rien. On trouvera juste quelques points communs, dont (forcément) un usage similaire d’une certaine imagerie, ou quelques lignes de basse. Mais Journal for Plague Lovers est un album différent, ce qui ne l’empêche pas d’être sans problème le meilleur album des Manics depuis plus de dix ans.

Peeled Apples, pour troubler les pistes, commence par un élement très Holy Bible : le sample d’un film, en l’occurence l’extraordinaire The Machinist, avec un Christian Bale dont on dit que le personnage ressemblait fort à Edwards, qui était atteint d’anorexie sévère. Ensuite, une basse pouvant faire penser à Archives of Pain ou Of Walking Abortion, mais ce sera tout : les paroles d’Edwards (ici et ailleurs) sont moins sombres, parfois d’ailleurs teintées d’humour, et musicalement, l’album est plus aéré. Reste qu’il faut quasi toujours avoir les paroles devant les yeux : comme avant, James Dean Bradfield et Sean Moore ont du écrire la musique autour de textes indépendants. Mais même à ce point de vue là, on est loin de Yes ou ifwhiteamericawouldtellthetruthforonedayit’sworldwouldfallapart. Il a quand même fallu du temps pour que je comprenne que le morceau ne commençait pas par « The Morrissey, the less ice cream », hélas. On retrouvera plus loin des références à Noam Chomsky (écrites il y a 15 ans et plus, rappelez-vous) et une phrase typiquement Edwardsienne : « The Levi jeans will always be stronger than the uzi ». Bon, et Peeled Apples ressemble aussi à Temptation de Heaven 17. Mais pas à Satriani.

En parlant d’humour et de textes, que dire de Jackie Collins Existential Question Time, et sa question introductive (« If a married man fucks a Catholic and his wife dies without knowing, does it make him unfaithful? »), suivie d’un refrain très infectieux : »Oh Mommy what’s a sex pistol? ». La guitare de Bradfield fait merveille, et les comparaisons initiales avec Holy Bible sont maintenant dissipées : on peut simplement écouter l’album pour ce qu’il est. Le trio d’intro se termine avec Me & Stephen Hawking, et un couplet sur du lait transgénique contenant des protéines humaines. Ok, mais le morceau est top, malgré un refrain un peu anti-climactique. On avait presque oublié à quel point ce groupe peut être bon. Autre point positif de l’album : la moitié des morceaux fait moins de trois minutes, et ne se perd donc pas en chemin.

La première moitié de l’album reste dans la même veine, alliant fulgurances textuelles avec des morceaux bien foutus et surtout pleins de vie : pour la première fois depuis longtemps, on n’a plus l’impression d’entendre trois vieux types, certes talentueux, mais qui sortent des albums comme on visse des portes de bagnoles chez Opel. Ou plutôt Vauxhall. Cet album à une âme.

Pour revenir à Steve Albini, il a exactement fait ce qu’on attend de lui : un enregistrement très sec, très live, mais pas spécialement proche de In Utero, comme Edwards le voulait : les Manics ne sont simplement pas Nirvana, pour un bien et pour un mal. Ce qui n’empêche pas She Bathed Herself in a Bath of Bleach d’avoir une sorte d’esprit Nirvana, tout en disto crapuleuse à la Rape Me, et en batterie claquante, Sean Moore étant une fois de plus l’arme plus vraiment secrète du groupe. Facing Page : Top Left introduit une harpe, qui rappelle évidemment la ballade (écrite par Edwards) d’Everything Must Go, Small Black Flowers That Grow In The Sky. Elle est tout aussi jolie, et bénéficie d’une refrain à la consonnance fabuleuse : « This beauty here dipping neophobia », allez y, chantez pour voir.

La seconde moitié de l’album est sans doute moins puissante : Marlon JD parle de Brando (mais personne ne sait ce que JD veut dire), et est écrite par le bassiste et habituel lyriciste, Nicky Wire. Wire s’améliore clairement en tant que compositeur, mais le morceau n’a pas trop le niveau des précédents, sans doute à cause d’une prestation vocale en demi-teinte (ou plutôt d’un effet vocal douteux) et d’une boîte à rythme incongrue. Mais chouette guitare, une fois de plus. Doors Slowly Closing et All Is Vanity sont les deux derniers grands morceaux de l’album, le premier avec une ligne mélodique rare mais superbe, une ambiance générale assez lourde et un extrait adéquat de Virgin Suicides ; alors que All Is Vanity donne dans la reverb, riff mécanique et énorme refrain. Finalement, ces deux morceaux ne sont pas si loin de Holy Bible, il faut le reconnaître.

La fin de l’album est un peu bâclée, avec les dispensables Pretention/Repulsion (et son refrain étrange, « BORN.A.GRAPHIC VS PORNOGRAPHIC ») et Virginia State Epileptic Colony (early REM). La grande curiosité est pour la toute fin : William’s Last Words sonne nécessairement comme une note de suicide (« I’m really tired, I’d like to go to sleep and wake up happy »), mais ce n’est apparemment pas le cas. On réservera la réponse jusqu’au jour où Richey Edwards reviendra parmi nous comme si de rien n’était… Nicky Wire chante ce dernier morceau, mais comme tout le monde sait qu’il ne sait pas chanter du tout, il évoque un autre non-chanteur, Lou Reed et s’en sort plutôt bien. Une chouette ballade avec juste ce qu’il faut d’émotion.

Comme souvent, les Manics ont ajouté un morceau caché. Cette fois, il est totalement indispensable, car Bag Lady est peut-être le meilleur morceau de l’album, avec un riff glacialement effrayant. Pourquoi n’est-il pas sur l’album? Parce que là, aucun doute, on est clairement en plein Holy Bible. Attention : il n’est pas disponible sur la version spéciale limitée ni sur le vinyl (ce qui est assez scandaleux d’ailleurs).

Les comparaisons inévitables n’étant que rarement justifiées, Journal for Plague Lovers doit vraiment être considéré comme un album à part, et pas comme une suite de quoi que ce soit. Les Manics ont traversé un long désert (et comme je le disais en intro, on en reparlera) avec des albums en demi-teinte, mais déjà, Send Away The Tigers (2007) était source d’espoir. Maintenant, on a retrouvé un groupe motivé, il ne reste plus qu’espérer que même sans les textes et l’inspiration de Richey Edwards, ils arriveront à continuer à progresser, et à sortir un prochain album studio (le dixième!) qui vaudra aussi le déplacement. C’est tout le mal qu’on souhait à un groupe qui n’a jamais cessé d’être passionnant.

Manic Street Preachers – Send Away The Tigers

Huitième album pour les Manics, qui est, comme d’habitude, qualifié de retour en forme, ou un truc du genre. Il faut dire que depuis Everything Must Go en 1996, les sorties de groupes ont été inégales (This Is My Truth Tell Me Yours), ennuyeuses (Lifeblood), voire carrément inécoutables (Know Your Enemy). Cette fois, ils ont ressorti les guitares et les hymnes rock, et même si on n’espère plus grand chose, pourquoi pas?

Même si le morceau-titre, qui ouvre l’album, débute par un clavier, la suite nous ramène clairement vers leur période Everything Must Go, où le groupe sortait des hymnes expansivs à tour de bras, portés par la voix puissante de James Dean Bradfield, qui renoue ici avec ses solos de guitare hard rock dont il a piqué le secret à Slash. La suite donne le ton : ce sera un album en dents de scie. Underdogs, sorte d’hommage aux fans fidèles du groupe, renoue avec une sensibilité punk inédite depuis leurs tout débuts : très bien, mais quel dommage que les paroles pitoyables gâchent tout. Nicky Wire écrit vraiment n’importe quoi, et c’est de pire en pire.

Your Love Alone Is Not Enough remonte le niveau : un duo avec Nina Persson (The Cardigans), c’est carrément leur meilleur single depuis, oh, A Design For Life, peut-être (si l’on ne compte pas Masses Against The Classes). Un vrai duo, pas lourdingue pour un sou, et la voix de Nina offre un excellent contrepoint. En parlant de Design For Life, l’intro du morceau suivant (Indian Summer) y fait penser assez fort, même si les excès se retrouvent petit à petit, cette fois c’est un solo de guitare assez inutile. Un peu plus loin, Rendition fait exploser les amplis, comme avant, et le superbe Autumn Song (mais aïe, les paroles…) nous montre que parfois, les Manics ont toujours la flamme. Même si la reprise de Working Class Hero (en piste cachée) ne marquera pas les esprits, si ce n’est par une certaine ironie : Motown Junk, un de leurs premiers singles, clamait « I laughed when Lennon got shot ».

Les points forts de l’album sont sa densité et sa variété, on reprochera juste des paroles généralement très peu inspirées et quelques mauvaises habitudes d’un goût douteux. Le bon est nettement plus présent que le mauvais, et on n’a plus pu dire cela d’un album des Manics depuis bien longtemps. rien que pour cela, je m’excuse d’avoir demandé leur séparation dans un précédent article. Il n’empêche que le groupe ne semble plus capable de produire un album consistant, du calibre de The Holy Bible ou de son successeur. Le rôle du groupe dans la sphère rock contemporaine est donc ambivalente : tant qu’ils sont là, ils continueront à produire quelques bons moments, mais le monde ne s’arrêtera pas de tourner lors de leur séparation. Les Manic Street Preachers sont donc proche du pire sentiment possible que l’on puisse inspirer dans le rock : l’indifférence.