Archives de catégorie : Music Box

Chroniques d’albums contemporains

Arcade Fire – Neon Bible

Totalement inconnus il y a trois ans, révélés grâce à la « blogosphère » (je jure que je n’utiliserai plus jamais ce mot), et potentiel mega-groupe à la U2/REM, la joyeuse troupe canadienne d’Arcade Fire arrive à l’heure de la confirmation, avec le fameux second album. Funeral était énorme, habité, original et passionné, on ne pouvait qu’espérer que Neon Bible puisse confirmer, et si possible pousser la formule plus loin encore.Que constate-t-on? Qu’Arcade Fire a bien compris ce qu’on attendait d’eux, et le produit.

Une instrumentation variée, ou la guitare est en retrait par rapport à la basse, au piano et au violon (Owen Pallett, alias Final Fantasy). La voix habitée de Win Butler, et les choeurs très Kim Deal de Régine Chassagne. L’ambiance, toujours particulière, parfois oppressante, parfois surannée, parfois angélique. Et la puissance générale, marquée dans l’instrumentation poids lourd de No Cars Go, ou dans le très très Springsteen Intervention.

Tout cela est très bien, mais. Quoi, mais? Mais reste une impression étrange, une impression d’une certaine impersonnalité (un comble!), voire pire, d’une sorte d’artificialité désagréable. Les paroles anti-guerre, anti-religion organisée et anti-USA, par exemple.

Comme si Arcade Fire avait compris ce qu’on attendait d’eux, et a produit ce disque comme on produit un Big Mac. On sait ce qu’on attend, et si on le demande, c’est qu’on aime, probablement. Mais il reste que c’est vachement difficile à digérer, et Neon Bible est lourd. Lourd, et limite indigeste, à force de nappes de claviers, couches de violons et voix pesantes.

Avec cet album, Arcade Fire prouve plusieurs choses : d’abord, qu’ils sont capables de bonnes choses; ensuite, que le chemin le plus court entre deux points reste la ligne droite. Mais les lignes droites, c’est bien, pour Coldplay, et d’autres groupes qui ne font que ce qu’on attend d’eux, sans surprendre, sans âme. Arcade Fire sera peut-être un jour aussi gros que U2, ou que Coldplay, justement. Et alors?

Kaiser Chiefs – Yours Truly, Angry Mob

2005, en Angleterre, c’était l’année de la mort des Libertines, et de l’avènement de Kaiser Chiefs, le groupe idéal car capable de plaire aux enfants, aux ados pas très rebelles, aux parents qui se souviennent de Madness et aux grand-parents, parce qu’ils sont bien habillés (le clavieriste a un chapeau). Leur premier album, Employment (indulgemment critiqué ici), s’est vendu par camions, a décroché quelques Brit Awards, mais se devait d’être bien suivi, sous peine d’un voyage vers l’oubli, à la Datsuns.

Les Kaiser Chiefs n’ayant pas l’intention de renouveler le genre (et n’en sont probablement pas capables, de toute façon), il était peu probable qu’ils changent de style, mais il fallait encore qu’ils ne s’auto-parodient pas, et qu’ils montrent (un peu) d’évolution musicale. Et sans vouloir être trop critique, c’est plus ou moins ce qu’on a ici. Ruby, le premier morceau et premier single, est excessivement catchy, tout à fait consommable, et fera chanter des hordes d’anglais assoiffés dans les festivals d’été (et pas qu’anglais d’ailleurs, KC étant confirmé pour une chouette journée à Werchter). La suite, sans grande surprise, allie morceaux rapides, faciles à digérer et ballades pas trop lourdes, faut pas exagérer non plus.

On notera juste une légère recherche d’amélioration, les morceaux sont moins clichés qu’avant (moins de ooh ooh), et le tout est un peu plus varié musicalement, avec cette fois des clins d’oeils vers leurs pairs plus sérieux, Franz Ferdinand (High Royds). Mais bon, tout cela reste assez facile, très inoffensif, et parfois irritant (Everything Is Average Nowadays, du pain bénit pour leurs détracteurs).

On ne peut pas dire que ceci soit un mauvais album, car il a trop peu de saveur pour être mauvais. Kaiser Chiefs a sa place dans le paysage musical contemporain, celui du groupe, en festival, qu’on utilise pour aller faire pipi. Il en faut.

Idlewild – Make Another World

On le répète à chaque nouvelle sortie des écossais d’Idlewild (c’est le sixième album) : une telle évolution dans le contexte assez fermé de l’indie rock actuel, c’est assez rare. Après des débuts punk noisy, et suivant une évolution progressive, le dernier album du groupe était plus calme, plus posé, mais très bien réalisé. Le chanteur Roddy Woomble ayant sorti l’an dernier un album solo au caractère nettement folk, on pouvait imaginer que les pédales de distortion allaient revenir en force. Et on n’avait pas tort, même s’il est clair que l’Idlewild période Hope Is Important n’existera plus jamais.

Le premier morceau rappelle directement 100 Broken Windows, paut-être le meilleur album du groupe, grâce aux guitares cinglantes, au jeu de batterie – enfin – rapide, et à la voix filtrée de Woomble. Alors, retour aux sources? C’est sans connaître le constant désir d’évolution, et surtout le refus de faire marche arrière qui caractérise le quintet depuis maintenant dix ans. Les deux morceaux suivants sont terriblement mélodiques, mais ne poussent ni sur le champignon ni sur l’excès de pathos. Très bien réalisé, mais on commence à avoir une petite peur : et si Make Another World était l’album pilote automatique? Make Another World, la chanson, est le morceau le plus hymne de stade jamais enregistré par Idlewild, et il faut le déferlement de décibels très attendu qu’est If It Takes You Home pour respirer un peu : non, le « REM écossais » ne se transforme pas en U2. D’ailleurs, la fin de l’album est dominée par les guitares, mais cette fois de manière plus construite et moins face-melting. Au rayon folk, Woomble n’avait pas tout pris pour son solo, il reste ici l’excellent Once In Your Life (du moins son début).

Make Another World est une photographie parfaite d’Idlewild en 2007 : mélange harmonieux entre guitares angulaires, sensibilités folk et paroles littéraire, entre brûlots rock avec solos et envolées matures. On regrettera peut-être que l’album semble trop calculé, ou du moins pas assez spontané, ce qui était justement la qualité principale de 100 Broken Windows, et dans une moindre mesure, The Remote Part. Un très bon album, cependant, mais inférieur à l’immense talent du groupe, qui tend à se disperser ces dernières années. Il est donc difficile de parler de déception, mais on attendait peut-être autre chose. On demandait sans doute trop.

Kelly Jones – Only The Names Have Been Changed

Pour ceux pour qui le nom ne leur dit rien, Kelly Jones est le leader de Stereophonics, groupe gallois qui avait bien commencé, avant de s’enfermer dans un carcan AOR assez pénible. Ceci dit, leur dernier album était intéressant, et celui-ci l’est encore plus.

Album solo enregistré en une prise, Only The Names Have Been Changed est évidemment aux antipodes du son hymnes stades de foot habituel, et tant mieux. Kelly mettait la barre très haut, avec comme références Johnny Cash et Nick Cave, et même s’il n’égale ni l’un ni l’autre, force est de constater qu’il fait mieux que se débrouiller. L’album est fort old-fashioned, chaque morceau porte le nom d’une fille, amours contrariées, déçues et hyper romantisées (du genre, « I looked for her, out on the porch »), et les morceaux très dépouillés : une guitare électriques, et des violons discrets. C’est tout.

En fait, pas vraiment, car il reste un élément important : la voix de Jones, qui n’a quasi jamais été aussi bien utilisée, et qui fonctionne merveilleusement bien dans ce contexte. De plus, Kelly ose changer de registre vocal, et avec succès. Malheureusement, l’album souffre un peu de son contexte, ce qui fait que les morceaux se ressemblent tous un peu, sauf le très Murder Ballads Violet.

Il reste que Only The Names Have Been Changed prouve que Kelly Jones est un très bon chanteur et un superbe storyteller (on s’en était déjà rendu compte sur le très bon premier Stereophonics, Word Gets Around), dont la mauvaise passe semble être derrière lui. On viendrait presque à anticiper le prochain ‘Phonics, mais en attendant, ceci fait bien l’affaire.

Bloc Party – A Weekend In The City

Doit-on encore invoquer le fameux syndrome du deuxième album, celui où le groupe qui a bien réussi le premier est face à un choix : continuer dans la même veine ou évoluer, au risque de surprendre. La liste des artistes se trouvant dans chaque catégorie est très longue, et on se bornera donc ici à étudier le cas Bloc Party, dont l’excellent premier album retentit toujours dans pas mal d’oreilles aujourd’hui.

Une seule écoute, même distraite, suffit à répondre à la question : A Weekend In The City est tout, sauf une copie de Silent Alarm. Mis à part quelques passages, notamment les riffs nerveux de Hunting For Witches, il est difficile de trouver des points communs avec le précédent. L’album est plus sombre, plus introspectif, même si les paroles passent cette fois du général au particulier, c’est à dire Kele Okereke, jeune anglais d’origine nigérianne, et à la sexualité incertaine. Kele s’impose ici comme un songwriter de talent, dont la franchise presque gênante pourrait être comparée à Morrissey.

Dès le premier morceau, Kele fait porter sa voix très haut, et évoque la mémoire d’un personnage de Bret Easton Ellis, aux antipodes de sa propre personnalité. Il est d’ailleurs assez difficile d’interpréter les paroles sans faire de raccourcis probablement erronés, comme la chanson d’amour gay I Still Remember ou Where Is Home, l’interrogation d’un gosse sur ses origines ethniques. Musicalement, l’album est fort varié, mais nettement moins bruyant et rythmé que le précédent, et agrémenté de quelques touches électro, parfois maladroites, placés par le très bourrin producteur Jacknife Lee.

De même, la cohésion n’est pas le point fort de Weekend : il semble évident que deux ou trois morceaux ont été placés là en tant que singles potentiels, il faut dire que l’album est long (51 minutes pour 11 morceaux) et pas vraiment aisé d’accès. il n’est pas très marrant non plus, comme peut en témoigner SXRT, qui raconté le suicide d’un dépressif (« Tell my mother I’m sorry, and I loved her »).

A Weekend In The City est un album courageux, sans doute nécessaire pour la survie du groupe, et le développement de Kele Okereke, en tant que songwriter et être humain. On regrettera juste que tout cela soit au détriment de l’accessibilité. Malheureusement, malgré les points forts de cet album, il souffrira toujours de l’ombre de son prédécesseur, moins ambitieux mais mieux réalisé, et nettement mieux produit.