Yeah Yeah Yeahs – It’s Blitz!

Voici un parfait exemple d’évolution musicale. Apparu dans le paysage rock en même temps que les Strokes et compagnie, les YYY ont systématiquement pris la tangente et sorti des albums diamétralement différents. It’s Blitz!, le troisième, sera sans doute connu comme l’album « dance ». Non, ce n’est pas une mauvais chose.

Le single d’intro Zero est un punch parfait, fait de la voix sexy de Karen O, de guitares disco et de synthés festifs. Franchement bon, et de bon augure pour la suite. Heads Will Roll et Softshock continuent cette tendance disco-dancey, mais sans jamais tomber dans le facile ou le vulgaire, grâce aux talents des musiciens, car on est loin d’un album électro : la batterie de Brian Chase est énorme de précision (Skeletons, Shame And Fortune) et Nick Zinner est toujours capable d’envoyer des tons de guitares spectaculaires (Dull Life).

Karen O est plus discrète que d’habitude, passant sans problème d’un registre à l’autre, de la déesse post-punk que l’on connaît à … Debbie Harry. On arrive difficilement à s’ennuyer au cours des 41 minutes qui composent l’album, grâce à la variété des morceaux et des rythmes. Runaway, « ballade », fait évidemment penser à Maps, avec Karen en mode superémotif, mais c’est l’exception dans un album expansif, qui se termine pourtant de manière posée.

Difficile de cerner les Yeah Yeah Yeahs, mais une chose est sûre : ils font exactement ce qu’ils ont envie de faire à l’heure actuelle. It’s Blitz! est vraiment excellent, fonctionnant aussi bien sur les pistes de danse que dans un casque, dans le noir. Contrairement à nombre de ses condisciples de la new rock revolution (copyright NME), ils évoluent très bien, et deviennent carrément meilleurs.

Oh, et dans un monde radio dominé par Timbaland et Kanye West, Dragon Queen devrait être un hit immense. Le fait qu’il ne le sera pas est encore plus rafraichissant.

Pearl Jam – 1990-1992 (Ten Collectors Edition)

Il y a de ça presque deux ans, j’ai écrit une rétrospective de Pearl Jam en commençant, forcément, par le premier album : Ten. Dans l’article, j’ai mis en évidence une production souvent critiquée. Le groupe lui même s’en est rendu compte, à tel point que presque vingt ans après, l’album ressort en version évidemment spéciale et remasterisée, mais surtout accompagnée d’une toute nouvelle version de Ten, remixée par Brendan O’Brien.

Dans cet article, je ne vais pas revenir sur l’album en tant que tel, mais sur la valeur ajoutée du coffret collector, qui vaut largement qu’on lui dévoue quelques lignes. D’abord, sa composition : l’album original, produit par le très zeitgeist Rick Parashar et remasterisé en 2009 et la nouvelle version, remixée par O’Brien en forment la pierre angulaire. La version que tout le monde connaît ne change pas, même si le son est fatalement plus puissant, triste conséquence de la loudness war. La version O’Brien, par contre, est stupéfiante. On retrouve des guitares dont on ignorait l’existence, le son est plus clair, plus proche de ce que le groupe fait en concert. C’est surtout les morceaux plus lents qui bénéficient le mieux du traitement de BOB : Oceans (sans l’infâme reverb), Garden, Release et évidemment Black sont intenses de pureté et totalement captivantes. Les emblématiques Alive, Even Flow et Jeremy changent moins (même si le final de ce dernier est étonnament modifié) mais c’est surtout Porch qui impressionne par sa force et la rage d’un jeune Eddie Vedder.

La question à 110€ (le prix minimum du box) est la suivante : est-ce pertinent de vouloir réécrire l’histoire? Est-ce une bonne idée de décontextualiser un album qui est, par définition, un produit de son époque? J’imagine que c’est pour ne pas devoir répondre à cette question que les deux versions de l’album sont comprises dans le coffret. Personnellement, je détestais écouter Ten, justement à cause de cette production. Je préfère la nouvelle version, même si on ne peut pas, pour des raisons historiques, la substituer à la première et seule version légitime. Mais ce n’est pas la seule nouveauté, car le « nouveau » Ten (appelé Ten Redux) ajoute six morceaux bonus.

2,000 Mile Blues est, comme son nom le laisse penser, une impro blues en studio, pendant que le guitariste Stone Gossard était chez le dentiste. Anecdotique, mais comprenant un très bon solo de Mike McCready. Evil Little Goat est plus une blague qu’autre chose, un morceau qui aurait sans doute gagné à etre caché quelque part. On retrouve aussi deux versions alternatives de State Of Love And Trust et Breath (de la BO de Singles). Les versions sont assez brutes et primitives, on ne doit donc pas s’attendre à des versions aussi abouties que celles qu’on connaît. Enfin,les deux morceaux restants sont les plus intéressants. Brother et Just A Girl sont deux morceaux mythiques du groupe, ayant été joués en concert au début de leur carrière, mais ne s’étant jamais retrouvé sur disque (sauf la version instru de Brother sur Lost Dogs). Des versions studio pouvaient être trouvées sur le web, mais c’est ici la première fois qu’ils sont disponibles officiellement. Just A Girl est mon préféré, d’ailleurs un de mes morceaux préférés de cette période, alors que Brother m’a étonné, car les paroles ne sont pas les mêmes que les versions connues. De toute façon, ces deux morceaux sont clairement un des points positifs principaux du coffret, mais représentent aussi la porte d’entrée à ce qui est peut-être sa principale critique.

Comme on peut le remarquer, le nom officiel du coffret est « Pearl Jam 1990-1992 ». Le groupe a aussi annoncé son intention de ressortir chaque album de son catalogue, pour en faire une sorte d’anthologie jusqu’en 2011 et son 20ème anniversaire. Bonne idée, mais le problème, c’est qu’une anthologie, par définition, est censée contenir les meilleurs morceaux. Pour que la boîte soit complète, il eut fallu inclure les faces B, qui sont certes connues, soit via les singles correspondants ou la compile Lost Dogs, mais qui sont absolument cruciaux pour cerner ce qu’était PJ entre 90 et 92. Yellow Ledbetter, pour ne prendre qu’un exemple, est un morceau qui finit traditionnellement les concerts du groupe, et est donc un de leurs morceaux-clés. Forcément, n’importe qui pourrait le graver, ce disque manquant, mais je ne peux m’empêcher de penser que l’occasion était bonne. Tout comme je ne peux m’empêcher de croire qu’il devait bien y avoir autre chose de plus intéressant que deux faux inédits, deux démos et deux morceaux boîteux comme « inédits ».

On peut ensuite continuer l’exploration de la boîte, avec les deux mêmes albums (sans les morceaux bonus, pour une question de place) en vinyl 180 grammes. Forcément, il faut avoir le matériel (une bête platine fait déjà la différence), mais quand c’est le cas, les versions cd deviennent superflues : comme c’est souvent le cas avec de bons vinyls, le son est nettement meilleur, sans volume assourdissant. Le marché étant bien plus réduit, pas de loudness war pour le vinyl, qui est donc préférable au cd.

Ce n’est pas fini, loin de là. Le coffret comprend aussi le DVD de la mythique session MTV Unplugged, qui montre un Eddie Vedder compètement habité et surtout la mode de l’époque, sacré Jeff Ament. Je n’ai jamais été un fan de leur Unplugged, parce qu’il est arrivé trop tôt dans leur carrière : ils n’avaient pas encore assez de morceaux qui pouvaient se prêter au concept, contrairement à Nirvana ou Alice in Chains dont l’Unplugged est phénoménal. Il reste toutefois intéressant de le regarder, même si le Rockin’ in a Free World final manque à l’appel, probablement pour des raisons légales.

Suit encore un double vinyl (mais avec un code permettant de télécharger les mp3 en 256 kb/s) d’un concert légendaire, « Drop In The Park », à Seattle. Une fois de plus, c’est encore Porch qui vole la vedette, avec une reinterprétation passionnée de Tearing, du Rollins Band. Malheureusement, deux morceaux manquent encore à l’appel (Sonic Reducer et Rockin’ In The Free World), de plus, le concert est tronqué par la suppression des interventions parlées du groupe, remplacées par de très vilains fade outs.

On terminera la partie audio/video du box avec une véritable curiosité cette fois véritablement inédite : la reproduction de la cassette comprenant les tous premiers enregistrements d’Eddie Vedder comme chanteur de Pearl Jam. Stone Gossard et Jeff Ament avaient envoyé trois instrumentaux à Vedder, qui a écrit ses paroles et ajouté sa voix sur ce qui allait devenir Alive, Once et Footsteps, trois morceaux connus sous le nom de Momma-Son – ou Mamasan – Trilogy (voir l’article original pour explication). Les trois morceaux sont intéressants, surtout quand on les compare aux versions définitives : Alive est nettement plus lent, Footsteps comprend l’harmonica virée de la version du single de Jeremy mais rajoutée sur Lost Dogs ; quant à Once, c’est la version la plus différente, avec des couplets carrément funk. Note amusante : Pearl Jam n’ayant pas encore de batteur à l’époque, c’est Matt Cameron, alors batteur de Soundgarden, qui joue sur les trois morceaux. Une dizaine d’années après, il allait rejoindre le groupe pour de bon.

On l’aura compris, ce coffret est rempli à ras bord de musique. Mais le côté graphique a aussi été soigné, car on y retrouve des cartes postales, des répliques de ticket de concert, de pass backstage entre autres, mais aussi et surtout un carnet de 80 pages rempli de photos et souvenirs en tout genre.

Malgré les quelques points négatifs relevés ci-dessus, Pearl Jam 1990-1992 est un objet assez extraordinaire, digne témoignage de son époque. Beaucoup de soin et d’efforts ont été fournis pour arriver à un résultat fantastique, qui peut expliquer son prix relativement élevé. Il reste maintenant à voir comment le groupe va suivre ce coffret, vu que la même chose est attendue pour les autres albums, à commencer par Vs. La barre est placée très haut.

The Prodigy – Invaders Must Die

Le temps passe, et je continue à suivre des groupes qui m’intéressaient quand j’étais ado. Prodigy est l’un de ceux-là, j’ai vécu leurs premiers succès avec le bourrin mais sympa Music for the Jilted Generation et leur méga domination mondiale (enfin, européenne) avec Fat of the Land. Puis, je n’ai plus jeté qu’une oreille à ce qu’ils font, de manière plutôt nostalgique. Je trouvais Always Outnumbered, Never Outgunned assez moyen en 2004, cet Invaders Must Die est fort différent, notamment grâce au retour des vocalistes Maxim et Keith Flint, exclus du précédent.

De manière assez positive, ils ont (ou plutôt il a, vu que Liam Howlett reste seul maître à bord) réussi à renouveler leur son, il est vrai fort daté (allez y, écoutez Firestarter maintenant. Oui, c’était mieux avant). Plus de claviers rave, moins d’attitude subpunk, l’album peut se laisser apprécier, s’il n’avait pas la subtilité de Wayne Rooney une nuit de weekend. Omen, le premier single est assez dingue, mais les voix reggae de Thunder irritent vite. Keith Flint fait un comeback rageur avec Colours et surtout Take Me to the Hospital (« along came a spiderrrrr ») alors que la voix féminine de Warrior’s Dance est plus Jilted que Jilted.

Les influences punk refont leur apparition sur Run With The Wolves, qui nous gratifie d’une performance de Dave Grohl très Songs For The Deaf. Très agressif et efficace. Malheureusement, la suite est nettemenrt moins heureuse, Worlds On Fire fait penser à un mauvais tube eurodance alors que le final Stand Up rappelle les pires chansons à boire d’Oasis (All Around The World en pire, même pas drôle).

Malgré quelques bons moments, Invaders Must Die ne se laissera pas réécouter souvent. The Prodigy est un autre groupe qui appartient aux années 90 et qui n’a plus vraiment sa place aujourd’hui. Par chance, ils arrivent encore à sortir de la médiocrité, même s’ils n’ont absolument plus aucune relevance. Better to burn out than fade away, etc etc…

Therapy? – Crooked Timber

Il y a très peu de groupes qui font une carrière sans faute. On finit toujours par se ramollir (au mieux), par tenter de se réinventer (Radiohead étant l’exception confirmant la triste règle) ou pire, par devenir totalement inutile et embarrassant (chaussures compensées + grosses lunettes, guitariste à bonnet? Eux.). Le douzième album de Therapy? est un de leurs tous meilleurs, tout en étant, comme souvent, différent de ce qu’ils ont fait auparavant.

Therapy? est un de mes groupes préférés, que je suis depuis pas mal d’années, et qui ne m’ont jamais vraiment déçu. Cependant, les deux derniers albums (Never Apologize Never Explain et One Cure Fits All), tout en étant largement décents, n’apportaient que peu au canon des irlandais. Trois ans après, il fallait sans doute se réinventer, et c’est ce que le groupe a fait, notamment en invitant Andy Gill à la production. Gill, influence majeure de pas mal de monde s’inspirant de son groupe Gang Of Four, a réussi à insuffler une nouvelle dynamique à Therapy? Le groupe sonne très soudé, avec une mention très spéciale à la basse de Michael McKeegan. C’est simple : la basse est l’instrument majeur d’un album à la rythmique aussi impeccable que dévastatrice.

On le remarque d’entrée de jeu avec The Head That Tried To Strangle Itself, ou la dynamique (oui, je me répète) du power trio est poussée à son maximum. Therapy? n’a jamais semblé aussi tight depuis le départ de Martin McCarrick. Il faut donc souligner la place du batteur Neil Cooper : non seulement il rappelle parfois Fyfe Ewing, le légendaire premier cogneur de fûts du groupe, mais il complète McKeegan à la perfection. Reste le dernier membre, Andy Cairns, dont la guitare est donc fatalement parfois en retrait. Ce qui ne l’empêche pas d’envoyer des riffs dantesques et une guitare rythmique idéale. Enfin, Cairns profite du caractère novateur des structures des nouveaux morceaux pour tenter quelques nouvelles choses avec sa voix. Certains diront qu’il chante enfin, je dirai simplement qu’il évolue…

Après le morceau d’intro, suivent carrément deux des meilleurs morceaux jamais enregistrés par T?. Enjoy The Struggle possède une rythmique totalement inouïe alors que Clowns Galore rappelle carrément leurs débuts, et Teethgrinder. Peut-être même en mieux, c’est dire. Cairns est rageur, expédie des solos courts limite industriels, et T?, au risque de me répéter, n’a plus sonné comme ça depuis quelques années. Mais Crooked Timber est assez varié, malgré l’approche bassique (oui, j’ai fait mieux) de l’album : Exiles est étrangement atmosphérique, comme si T? se retrouve signé par Factory Records il y a 25 ans, alors que Crooked Timber commence par une intro au glockenspiel ultramélodique, avant que la basse de McKeegan ne balaye littéralement tout ce qui passe.

On se s’ennuie pas : I Told You I Was Ill pastiche leur tout premier album en ce qui concerne le son de la batterie, pendant que Cairns joue son crooner sur un accord des Ramones. Wow quoi. Somnanbulist et Blacken The Page ramènent un peu le groupe vers leurs influences punk (mais c’est pas Shameless non plus). En fait, c’est tellement varié que s’il n’y avait pas la voix de Cairns, on se demanderait pendant tout l’album de qui il s’agit, surtout avec le morceau suivant. Magic Mountain est 1) un instrumental de dix minutes 2) le truc le plus étrange jamais sorti par T? 3) un morceau qui ne leur ressemble pas 4) un morceau qui ne ressemble à personne d’autre. Parfois un peu répétitif, mais l’intention était là. Enfin, Bad Excuse for Daylight amène un peu de mélodie sur une couche grasse de basse, et clôture un album qui demande qu’on le réécoute immédiatement.

Mon album préféré de 2009 jusque maintenant. Et en plus, il sort en vinyl.

This is my music box, this is my home. Since 2003.