Radiohead – The King of Limbs

En 2007, la sortie de In Rainbows avait lancé l’ère des méthodes dites alternatives de vente de musique, ouvrant la voie à Bandcamp et Topspin. Cette fois, The King of Limbs aura popularisé la chronique-twitter : tout le monde ayant reçu l’album en même temps, on s’est pressé pour savoir qui allait être le premier à écrire une bafouille sur « le nouveau Radiohead ». On ne saura jamais si le groupe s’en est amusé, mais force est de constater la futilité d’un tel exercice lorsqu’on parle de l’album le moins immédiat de la carrière du groupe, et qui continue à dévoiler certains secrets après plusieurs dizaines d’écoutes.

L’album, bien qu’étonnamment court (huit morceaux, trente-sept minutes) semble séparé en deux parties. La première, obscure et extrêmement manipulée, ressemble nettement plus à ce que fait Thom Yorke en solo qu’aux successives versions de Radiohead, y compris celle de Kid A. Bloom commence avec un piano rappelant Philip Glass, mais trafiqué par le traitement sonore du groupe et de Nigel Godrich. On ne pige évidemment rien à ce que Yorke raconte, mais le tout tient, comme toujours, sur les programmations de batterie audacieuses de Phil Selway et la basse proéminente de Colin Greenwood. Oh, et il n’y a pas de guitare?

C’est d’ailleurs, comme à chaque fois, le premier élément qui ressort de l’écoute initiale « du nouveau Radiohead ». In Rainbows était un album à guitares, The King of Limbs, non. Cependant, après quelques écoutes, on se rend compte que, contrairement à ce qu’on pensait au départ, des guitares, on en a à presque chaque morceau, elles font juste partie du paysage sonore. Par exemple, elles forment la base de Morning Mr Magpie, vieux morceau totalement remis à neuf. Ironiquement, Yorke s’interroge sur le vol de sa mélodie, et implore qu’on lui rende au plus vite : un peu de métatexte pour ceux qui aiment trop lire entre les lignes. Quelque part, bien cachée, se trouve une vraie chanson, c’est juste que Radiohead n’a pas envie (?) de la livrer.

The King of Limbs aime se dévoiler progressivement, et se révèle souvent assez frustrant : que serait devenu Little By Little et son intro imaginative (Morricone via OK Computer) si Radiohead avait eu envie d’en faire quelque chose vaguement user-friendly? Mais on garde un certain espoir, on a un vrai refrain, après tout. Evidemment, c’était trop simple, et Feral est peut-être le morceau le plus étrange de tous les albums de Radiohead (et on a des adversaires de valeur). Effets fantômatiques sur la voix coupée/collée de Yorke, programmation de batterie hoquetante, trucs bizarres et variés un peu partout, et pas l’ombre d’une mélodie accrocheuse. Nigel Godrich est vraiment le sixième membre du groupe, son mixage est ici l’élément le plus important, surtout si on écoute le morceau au casque : on en aurait presque peur.

J’évoquais plus haut la séparation de l’album en deux parties : effectivement, la seconde est un peu plus, disons, accessible. Lotus Flower est peut-être plus célèbre grâce à la vidéo d’un Thom Yorke danseur étoile hyperactif que grâce au morceau lui-même, mais c’est un tort : la mélodie (oui!) monte crescendo, s’enroulant autour d’une basse hypnotique et poussant Yorke dans ses retranchements les plus aigus. Simple et efficace, il prouve que Radiohead aime les extrêmes. Surtout que Codex se la joue encore plus dépouillé, avec un piano pour accompagner une ballade apocalyptique. Evidemment, après quelques minutes, les choses se compliquent, mais le morceau conserve une change émotionnelle bienvenue dans un album qui reste quand même fort synthétique. Les chants d’oiseau (!) créent l’enchaînement avec Giving Up the Ghost, sorte de chanson de feu de camp post-cataclysmique, avec une voix de fond qui répète, pendant tout le morceau, un effrayant « Don’t hurt me ». On n’oserait pas. Probablement le morceau le plus bipolaire de TKOL, il aurait pu être un hit, il restera un étrange oxymore.

Enfin, Separator conclut (« Wake me up, wake me up ») un album court mais très intense avec une terrible intro basse/batterie et une guitare ensolellée inattendue après deux minutes trente. Dire qu’il requiert plusieurs écoutes dépasse la vérité, The King of Limbs ne se laisse pas apprivoiser facilement. Est-ce une bonne chose? Est-il trop complexe, gratuitement obscur? Est-ce que Radiohead se la joue « artiste » parce qu’ils ne sont plus foutus d’écrire un Karma Police? Est-ce qu’ils sont simplement là où ils veulent être, sans accorder aucune autre importance aux avis, positifs et négatifs? Est-ce leur pire album depuis Pablo Honey? Toutes ces questions resteront sans réponse : The King of Limbs est un de ces rares albums qui doit être (ré)écouté pour être apprécié. Même si l’appréciation peut être négative, elle a besoin d’arguments. Et Radiohead ne nous laissera jamais à court d’arguments.

 

2 réflexions sur « Radiohead – The King of Limbs »

  1. Très bonne analyse de cet album si je puis dire … Dire qu’il est impossible de se faire un avis global avec quelques écoutes est un argument tout à fait véridique et que je ne cesse de répéter à tout bout de champs à ceux qui pensent que cet album est décevant. Après, chacun son avis :p

  2. merci pour le commentaire 🙂 La musique est tellement rapidement consommée à notre époque qu’on n’a plus la patience d’attendre, d’apprivoiser un album qu’on pourrait ne pas comprendre directement. C’est vrai qu’à la première écoute, j’étais perplexe, mais au fur et à mesure, l’attention portée aux morceaux m’a vraiment impressionné. J’espère juste qu’il ne faudra pas attendre trop longtemps avant un nouvel album (pas une suite, mais un nouvel album).

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