Archives de catégorie : Retro

Chroniques d’anciens albums

Queens of the Stone Age – Songs for the Deaf (2002)

qotsaAucun album metal n’a dépassé la barre fixée par Songs for the Deaf, il y a déjà cinq ans. C’est aussi simple que ça. L’album arrive au niveau de la pure perfection, et restera pour toujours dans les annales du rock.

Comment y est-il arrivé? D’abord, grâce à ses membres : ex-Kyuss Josh Homme, figure majeure du stoner rock; Nick Oliveri, déséquilibré notoire, et ex-Dwarves et Kyuss; Mark Lanegan, ex-Screaming Trees et voix d’outre-tombe; enfin, en guest drummer, un certain Dave Grohl.
Avoir un tel line-up sur papier, c’est chouette, mais cela ne suffit pas, regardez Audioslave. Dès les premières secondes, les doutes s’estompent. Nick Oliveri, bassiste et exhibitionniste, offre ici sa gorge à contribution, pour un des morceaux les plus violents du groupe, avant que l’imparable single No One Knows déferle, avec ses solos (guitare et basse), ses différentes parties et son futur comme frustration majeure dans Guitar Hero.

Le niveau ne descendra jamais. First It Giveth est une leçon de riffs, tandis que A Song For The Dead montre Dave Grohl en démonstration, qui nous force à nous demander pourquoi il a arrêté la batterie full time : Songs For The Deaf est son meilleur album, aussi incroyable que cela peut sembler.

Les morceaux plus radio-friendly (Go With The Flow, Another Love Song) se lacent parfaitement avec d’autres, plus difficiles d’accès mais tout aussi mémorables (The Sky Is Falling, God Is In The Radio). De plus, Mark Lanegan nous gratifie de quelques exemples de sa voix phénoménale, offrant encore plus de variation à un album déjà très complet.

Songs For The Deaf doit s’écouter très fort, et très souvent. C’est un modèle, un des meilleurs albums de tous les temps. C’est le record du 100m de Florence Griffith-Joyner, qui tient toujours après 20 ans. Dans les deux cas, on ne sait pas ce qu’ils ont consommé durant leur exploit, mais ça marche super bien.

The Beatles – The Beatles (1968)

Que peut-on encore dire des Beatles qui n’ait pas déjà été dit ou écrit? Tout et son contraire, sans doute. Vu qu’absolument tout concernant les différentes sessions d’enregistrement de chaque morceau se trouve déjà décrit avec minutie dans trois tonnes d’ouvrages, je vais ici me concentrer sur un review « classique » d’un album du groupe. J’ai choisi leur album éponyme, mais j’aurais pu évidemment en choisir un autre. Ceci dit, je le trouve particulièrement intéressant, sans doute de par sa longueur, et ses faiblesses inhérentes.

Sans trop s’étaler, il faut garder en tête deux éléments importants de la vie des Beatles pour tenter de comprendre l’album. D’abord, les conflits étaient très nombreux à l’époque : entre autres, jalousie entre McCartney et Lennon, sentiment d’infériorité de Starr, et évidemment l’affaire Yoko, accusée d’exercer une mauvaise influence sur Lennon. Ensuite, leur pelerinage en Inde : les 4 Beatles ont suivi pendant plusieurs mois les enseignements d’un maitre spirituel local, ce qui les a clairement influencés, même si, comme on le verra, leur visite s’est mal terminée.

Back To The Music, et Back In The USSR pour commencer. Composition pop rapide, elle est emmenée, comme la plupart des morceaux semblables du groupe, par la rythmique impeccable du duo McCartney/Starr, mais elle est surtout chargée politiquement, même si le ton n’est pas très sérieux. Dear Prudence suit, et ne pourrait pas être plus différente, calme, douce et poétique. La principale caractéristique de l’album apparait dès ce moment : il est difficile de trouver une quelconque cohésion entre les morceaux, ce qui apporte une variété très intéressante, mais peut aussi dérouter. De plus, il faut savoir que les 4 Beatles ont participé à l’écriture de l’album (même si Ringo n’a écrit qu’un morceau), ce qui peut expliquer cela, même s’ils ont tous écrit dans des styles différents.

Glass Onion est le premier morceau bizarre du double album, et se moque de l’analyse que certaines personnes ont pu faire des chansons des Beatles (« the walrus was Paul », se référant au fameux épisode Paul is Dead). Malheureusement, l’histoire rattrapa Lennon, car Charlie Manson et son groupe de malades mentaux ont basé leur série de meurtres sur leur propre interprétation de l’album.

Juste après, Ob-La-Di Ob-La-Da est la dernière chanson purement pop d’un album qui sombre dans l’étrange : Wild Honey Pie, The Continuing Story of Bungalow Bill, le très politique Piggies, Rocky Raccoon ou encore Savoy Truffle. Aujourd’hui, jamais un groupe aussi populaire que les Beatles ne l’étaient à l’époque oserait inclure tant de bizarreries dans un album (sauf peut-être Radiohead mais eux en ont fait un album complet). Mais The Beatles reste toujours poignant : Blackbird, et surtout Julia, dédiée à la grand-mère de Lennon, comptent parmi leurs meilleurs ballades, tout comme le sous-estimé Long, Long, Long ; et engagé : Sexy Sadie est une violente attaque, à peine déguisée, contre le charlatan indien cité ci-dessus, Revolution 1 une réaction post mai-68 (la version single, face B de Hey Jude, est une terrible offensive rock n roll).

Restent enfin les morceaux immenses. Pour moi, j’en retiens trois, sans aucun doute. D’abord, Happiness Is A Warm Gun, pour son message pacifique puissant et ses changements de rythmes purement extraordinaires, qui influenceront énormément de musiciens, et influencent toujours aujourd’hui (voir le Paranoid Android de Radiohead, justement). Ensuite, While My Guitar Gently Weeps, probablement le meilleur morceau d’Harrison et agrémenté d’un solo d’Eric Clapton. Et enfin, évidemment, Helter Skelter, bombe atomique totale qui créa le heavy metal, exactement comme Tomorrow Never Knows a créé la musique électro.

Il faut toutefois constater que les aléas de l’enregistrement ont poussé le producteur George Martin à inclure quelques morceaux, disons moyens : Don’t Pass Me By est là uniquement pour ne pas que Ringo quitte le groupe, et Revolution 9 est un collage, certes innovateur, mais tout à fait déplacé ici. Il est probable que le morceau soit majoritairement l’oeuvre de Yoko Ono. Enfin, les deux derniers morceaux de l’album ne sont pas à la hauteur de ce qui précède, mais on mettra cela sur le compte de la désorganisation thématique de The Beatles.

The Beatles reste évidemment un album majeur, malgré, ou finalement grâce, à ses défauts. Il montre le talent immense des quatre Beatles dans sa splendeur incontrôlée, tout en montrant le début de la destruction du groupe. Il est très intéressant de noter que l’album suivant, Abbey Road, est sans doute le mieux arrangé, le plus précis dans son édition, surtout lors du Long Medley. Abbey Road contient moins de morceaux mineurs, mais ne laisse pas la même impression que ce The Beatles, oeuvre majeure des Beatles, du popart, et de l’art musical en général. Et je n’ai même pas parlé de la pochette, tiens…

Manic Street Preachers – Everything Must Go (1996)

Les Manic Street Preachers auront vraiment eu une carrière bizarre, pleine de rebondissements et de coups durs qui auraient anéanti la plupart des groupes actuels. Tout a commencé avec un album énorme (18 morceaux, 75 minutes et la promesse – non tenue – de splitter s’il ne se vendait pas à 20 millions d’exemplaires, ce qui ne fut évidemment pas le cas). Deux albums plus tard sortait l’extraordinaire The Holy Bible, un des albums les plus puissants de l’histoire, et aussi un des plus bruts. Il restera connu à jamais comme le chef d’oeuvre du groupe, mais contre toute attente, le succès commercial viendra juste après, avec Everything Must Go.

Avant toute chose, il faut souligner l’atmosphère particulière qui précéda la sortie du disque : en effet, le designer/lyriciste du groupe, Richey James Edwards (responsable en grande partie de l’ambiance morbide/intense de The Holy Bible) disparut le 1er février 1995, à la veille d’une tournée promotionnelle. Il n’a toujours pas été retrouvé à ce jour. Après quelques mois de réflexion, le groupe décidé de poursuivre en tant que trio, en conservant quelques morceaux co-écrits par Edwards, pour leur nouvel album.

Et c’est sur des bruits de marée (évoquant un possible suicide d’Edwards, profondément dépressif) que l’album commence, et on sent dès le début que le groupe a voulu marquer la différence : les ambiances sombres sont ici remplacées par des morceaux amples, des instrumentations variées et un son puissant, aux antipodes du huis-clos de THB. Tout cela est évidemment parfaitement démontré dans le moceaux suivant, peut-être le plus grand single de rock anglais des années 90 : A Design For Life. Hymne puissant basé sur leurs origines prolétaires, le morceau propulsa le groupe au faîte du rock indie anglais, et fit de l’album un classique.

Les autres morceaux n’abaissent pas le niveau, au contraire : Kevin Carter, construit autour des vers non linéaires d’Edwards prend des tours et détours inattendus (comme un solo de trompette), Everything Must Go et Australia montre un groupe confiant malgré tout, et qui veut maintenant se faire entendre du plus grand nombre.

Ceci dit, Everything Must Go, même si beaucoup plus aisé à écouter que son prédécesseur, comporte quelques passages moins faciles, comme la magnifique ballade Small Black Flowers That Grow In The Sky aux paroles très noires, ou le magnifique dernier morceau, No Surface All Feeling, qui exemplifie au maximum le style de l’album, tout en puissance et en guitares multipliées. Qui d’ailleurs sont parfois trop mises en avant, la production trop « produite » étant sans doute le défaut de l’album.

Everything Must Go n’arrive pas au niveau de The Holy Bible, mais de toute façon, ce n’était pas le but. L’album montre un nouveau départ, une renaissance pour le groupe, même si l’avenir peu glorieux (les trois albums suivants se révéleront assez pâles, malgré quelques bons passages) ne le confirma pas. Á l’époque, les Manic Street Preachers venaient de sortir un des meilleurs albums de 1996, semblaient enfin tenir leurs promesses de domination globale, mais resteront à jamais connus dans l’histoire du rock pour avoir crée deux excellents albums, pour des raisons totalement différentes.

Blur – Blur (1997)


En 1997, la guerre de la Britpop est terminée, remportée par Oasis. Blur pouvait donc se concentrer sur la qualité de leur musique, plutôt que sur un éventuel succès commercial, sachant que leurs futurs ex-rivaux mancuniens ne seront plus battus. Le cinquième album de Blur, éponyme, est aussi de loin le plus intéressant depuis le début, grâce à une variété étonnante, et à l’ajout de nouvelles influences.

Avant cela, Blur était le groupe anglais quintessentiel, celui qui parlait de la vie middle-class comme nul autre (quoique, Pulp…). Mais quelqu’un n’était pas d’accord avec tout cela, et ne se retrouvait plus dans l’image créé par Blur. Ce quelqu’un, c’est bien sûr Graham Coxon, guitariste de génie, et principal instigateur du virage musical pris par le groupe. Là où Damon Albarn (chanteur, principal compositeur et idole) puisait son insipration chez les Beatles, Faces, Jam et tout ce que l’Angleterre comptait comme pionniers, Coxon était plus intéressé par ce qui se passait outre Atlantique. Le grunge, les guitares (mal)traitées, c’était son truc.

Même si le morceau d’ouverture (Beetlebum) fait immanquablement penser aux Beatles (malgré un solo de Coxon qui donne le vertige), Song 2 montre clairement des influences bruitistes plus proche de Seattle (via Pixies) que du West End. Song 2 est peut-être leur morceau le plus connu, grâce à son refrain, mais il ne faut pas sous-estimer la crasse pure de la guitare de Coxon ainsi qu’une basse phénoménale (Alex James est un des bassistes les plus bruyants qu’il m’aie été donné de voir live). Ensuite, chaque morceau est une nouvelle exploration sonore, comme un Country Sad Ballad Man qui lorgne vers Pavement, M.O.R inspiré (et plus) de Bowie, ou encore l’instrumental très claviers retro Theme From Retro (évidemment). La première moitié du disque sur clôture sur un morceau solo de Graham Coxon (son premier) : le très lo-fi mais néanmoins époustouflant You’re So Great. Coxon allait sortir son premier album solo, tout aussi lo-fi, quelques mois plus tard.

Ensuite, l’auditeur commence un peu à se perdre, dans les lignes de synthé tout droit tirée des Specials de Death of a Party au postpunk de Chinese Bombs, en passant par les expérimentaux I’m Just A Killer for Your Love et Strange News For Another Star. Seul Look Inside America fait référence à leur passé Britpop, mais les paroles ne laissent plus de doute quant à la nouvelle orientation de Blur. L’album se conclut sur un spoken word trip-hop qui déborde de partout, sans laisser aucune concession.

Blur version 2 était né, et allait donner quelques années plus tard l’excellent mais étrange 13, avant que la tension, déjà palpable ici, entre Albarn et Coxon arrive à son paroxysme : lors de l’enregistrement de Think Tank, Coxon claque la porte, préférant sa carrière solo (quatre albums à l’époque, six maintenant) à celle d’un groupe dans lequel il ne se retrouve plus du tout. Il n’est toujours pas revenu sur sa décision, malgré des appels du pied d’Albarn (par ailleurs occupé avec Gorillaz et son nouveau projet The Good The Bad and The Queen).

Blur ne sera donc sans doute plus jamais comme il était, et Blur est le meilleur moyen de s’en souvenir, juste après les excès Britpop et avant la bizarrerie totale de 13. La différence avec Oasis n’aura alors jamais été aussi claire.

PS : le jour où je publie cet article, Graham Coxon a évoqué pour la première fois un éventuel retour… Affaire à suivre.

Ramones – Ramones (1976)

On passera sur la question sans aucun intérêt de qui a inventé le punk, pour s’attarder sur un des albums majeurs de la genèse du mouvement (ils seront tous chroniqués ici tôt ou tard). Les quatre Ramones ont réinventé le monde musical d’une manière que peu de monde l’a fait depuis, et pour deux raisons majeures : d’abord, ils ont eu le génie de mélanger musique « dure » et pop, refrains mémorables sur riffs métalliques. Ensuite, vu leur légendaire limitation technique (qui n’était d’ailleurs pas si grande), ils ont montré que n’importe qui pouvait prendre une guitare et former un groupe, ce qui a évidemment permis de créer des centaines de groupes, dont certains tout à fait majeurs (il suffit de regarder la liste des artistes qui ont participé à l’album hommageWe’re a Happy Family).

L’album éponyme est le premier d’une terrible série de huit albums excellents (la suite fut moins glorieuse), et peut-être le meilleur (Leave Home et Rocket To Russia ne sont pas loin). Rien n’est à jeter ici, que ce soit les morceaux punk prototypiques (Blitzkrieg Bop, Now I Wanna Sniff Some Glue, Beat On The Brat) à ceux plus lents (I Wanna Be Your Boyfriend, qui aurait pu être une production Spector pour les Ronettes).

Tenter de décrire ce disque est inutile, il faut l’écouter pour comprendre, car l’alchimie entre les regrettés Johnny (guitare), Joey (chant) et Dee Dee (basse) est unique dans l’histoire du rock n roll, et a permis d’en faire un de ses meilleurs représentants.

Pendant ce temps, à New York, le jeune Ian MacKaye préparait, casque sur les oreilles, l’étape suivante alors qu’à Londres, Joe Strummer et Malcolm McLaren avaient leurs propres idées… J’y reviendrai.